Comme il n’y a point de divertissements qui flattent davantage les passions, on ne néglige rien pour s’en assurer une possession douce et tranquille ; on s’en forme une idée métaphysique ; on en sépare dans la spéculation le mal qui en est inséparable dans la pratique ; et on s’imagine ensuite qu’il n’y a point de mal à les fréquenter.
Le morceau de musique qu’en France on appelle air tout simplement est d’un chant doux, uni. […] La Poèsie doit en être douce, élégante ; il y faut du coloris & des graces. […] Il est aisé de sentir que le chant de la Romance doit être tendre & mélodieux : s’il était autrement, il ne se rapporterait plus au genre ni au sens des paroles ; il cesserait de peindre les peines ou les plaisirs de l’amour ; il ne ferait plus naître dans l’âme de ceux qui l’écoutent, ce trouble & cette douce langueur qui les portent à la tendresse. […] Il parviendra à détourner une partie des applaudissemens sur lui seul, si sa Poèsie est douce, harmonieuse, si rien ne choque le goût & la délicatesse.
Aux Romans de Chevalerie succéderent ces longs Romans, qui moins raisonnables que l’Astrée, ne parloient comme l’Astrée que d’amour, & contenoient les galanteries & les billets doux des Heros les plus graves de l’Antiquité. Notre Tragédie prit une vie conforme à l’air qu’on respiroit alors, & Corneille fit écrire des billets doux à Cesar dans le champ de Pharsale. […] Un jeune Poëte, qui avoit lui-même fait écrire des billets doux à Alexandre, entreprit la réforme de notre Théâtre. […] Monime & Xiphares savent aimer : mais quand ils voyent que pour leur malheur le Ciel a joint si tendrement Deux cœurs que l’un pour l’autre il ne destinoit point, aussi-tôt ils se disent un adieu éternel, & Monime n’ose se plaindre de son sort, puisqu’elle a dit à Mithridate, qu’elle n’aime point, Et même de mon sort je ne pouvois me plaindre, Puisqu’enfin aux dépens de mes vœux les plus doux, Je faisois le bonheur d’un Heros tel que vous.