Aussi on a pu remarquer encore que la satire de l’avare a donné lieu aux désordres de la prodigalité plus qu’elle n’a corrigé ceux de l’avarice, et que sous ce seul rapport elle a déjà été très-nuisible à la société : cette méthode simple, dis-je, susceptible de contrepoids ou de correctifs que ne permettent pas les règles ou les entraves de l’autre qui sacrifie tout à l’envie de faire rire, à la nécessité de divertir, aurait pu être employée plus heureusement aussi à arrêter beaucoup d’autres extravagances ; comme celles des vieux maris, par exemple, et celle qui est jouée dans la pièce de Georges Dandin. […] Il y a plus encore ; c’est qu’en voulant contribuer de cette manière au plus grand bonheur des jeunes femmes, l’auteur les a rendues infiniment plus malheureuses qu’elles ne l’étaient auparavant, et en augmentant beaucoup les désordres. […] et malheureusement, cette histoire n’est pas celle de désordres qui ont fait moins de progrès que les autres. […] Et en vérité, je ne puis le concevoir autrement, la tête a dû tourner aux bons humains qui n’auraient pas voulu passer pour tartufes, ni pour vauriens, ni pour misantropes ; non, je ne vois pas où ils pouvaient se retrancher avec sûreté pendant la plus grande action de ces productions contradictoires, destructives les unes des autres, qui enseignent ou nécessitent ce qu’elles blâment, qui exposent sur la scène pour les réprimer des désordres qu’elles augmentent, ou qui n’existaient point, et dont elles deviennent l’exemple et la cause. […] Son grand succès à faire rire de tout, même des hommes vertueux, (contre son intention, j’en suis persuadé, et je le répète) a causé des désordres d’autant plus rapides qu’en même temps qu’il rendait la vertu ridicule, il faisait naître généralement la passion de ridiculiser ; car c’est surtout à son exemple et à l’influence de ses comédies spirituelles et malignes que les Français et autres doivent leur manie de critiquer et de faire des satires, leur goût dominant pour le ridicule, la moquerie et les sarcasmes, où les pointes, qui percent partout, ne ménagent rien.
Il a paru de nos jours plusieurs Ouvrages excellents sur cette matière qui tendent à la même fin : Mais, comme la perfection est un bien qu’il est plus facile de désirer que d’obtenir, on est souvent obligé de s’en tenir aux motifs et aux remontrances qui peuvent engager à réformer en quelque chose les désordres ; puisque ce serait en vain que l’on entreprendrait de détruire la racine même de la corruption. […] Les désordres des femmes mariées, et des filles trop complaisantes occupèrent la place des amours des Courtisanes ; et on établit ces amours, comme le mobile et le fondement du Théâtre moderne.
Mais pour les passions molles & voluptueuses, où l’ame se livre aux funestes délices de l’impureté, à la dissipation, à la frivolité, perd la pudeur, la religion, la charité, il n’est pas douteux que le théatre & la danse, analogues au caractère nationnal, montés sur ce ton, établis & entretenus dans ces vues, par des personnes plongées dans le désordre, exercées à exciter les passions, les peignant, les embellissant, les réalisant, étalant, offrant l’objet avec toutes ses graces au premier qui en veut, se piquant, se faisant gloire de produire ces malheureux effets, il n’est pas douteux que le théatre & la danse théatrale ne fassent dans tous les cœurs les plus grands ravages. […] Il n’est pas possible que dans ce coup d’œil enchanteur, si soutenu, si répété, si bien préparé, l’homme le plus chaste, le plus indifférent, ne tombe dans le désordre. […] Horace reproche à son siecle, comme un des plus grands désordres, qu’on obligeât les femmes de danser dans les fêtes, festis matrona moveri jussa diebus, à plus forte raison qu’on les y exerçât de bonne heure, & qu’on appelât belle éducation, comme aujourd’hui on en fait une partie essentielle, d’enseigner aux enfans ces molles attitudes, ces mouvemens lascifs, qu’ils ne goûtent déjà que trop. […] Le mariage, ce sacrement respectable, cette union sainte, établie de Dieu même, n’a d’épithêtes désavantageuses, bizarres, ridicules, si propres à en dégoûter toute la jeunesse, que celles que le théatre lui donne, parce qu’on l’y profane, & qu’on ne l’envisage que du mauvais côté qu’on lui prête, pour s’en jouer, & c’est un des grands désordres du théatre. […] On n’excuse que trop dans les cœurs les désordres d’un Sultan réel.