Lettre sur la Comédie de l’Imposteur Monsieur, Puisque c’est un crime pour moi que d’avoir été à la première représentation de L’Imposteur, que vous avez manquée, et que je ne saurais en obtenir le pardon qu’en réparant la perte que vous avez faite et qu’il vous plaît de m’imputer, il faut bien que j’essaie de rentrer dans vos bonnes grâces, et que je fasse violence à ma paresse pour satisfaire votre curiosité. […] Son mari les regarde l’un et l’autre d’un œil de courroux ; et après leur avoir reproché, de toutes les manières les plus aigres qu’il se peut, « la fourbe mal conçue qu’ils lui veulent jouer », enfin, venant à l’Hypocrite, qui cependant a médité son rôle, il le trouve qui, bien loin d’entreprendre de se justifier, par un excellent artifice se condamne et s’accuse lui-même en général et sans rien spécifier, de toutes sortes de crimes ; qu’il est « le plus grand des pécheurs, un méchant, un scélérat ; qu’ils ont raison de le traiter de la sorte ; qu’il doit être chassé de la maison comme un ingrat et un infâme ; qu’il mérite plus que cela ; qu’il n’est qu’un ver, un néant : quelques gens jusqu’ici me croient homme de bien ; mais, mon frère, on se trompe, hélas je ne vaux rien » ! […] Les Grands du monde peuvent avoir ces basses considérations, eux de qui toute la dignité est empruntée et relative ; et qui ne doivent être vus que de loin et dans toute leur parure, pour conserver leur autorité, de peur qu’étant vus de près et à nu, on ne découvre leurs taches, et qu’on ne reconnaisse leur petitesse naturelle : qu’ils ménagent avec avarice le faible caractère de grandeur qu’ils peuvent avoir ; qu’ils choisissent scrupuleusement les jours qui le font davantage briller ; qu’ils se gardent bien de se commettre jamais en des lieux qui ne contribuent pas à les faire paraître élevés et parfaits ; à la bonne heure : mais que la Charité redoute les mêmes inconvénients ; que cette Souveraine des âmes chrétiennes appréhende de voir sa dignité diminuée en quelque lieu qu’il lui plaise de se montrer, c’est ce qui ne se peut penser sans crime : et comme on a dit autrefois, que plutôt que Caton fût vicieux, l’ivrognerie serait une vertu, on peut dire avec bien plus de raison, que les lieux les plus infâmes seraient dignes de la présence de cette Reine, plutôt que sa présence dans ces lieux pût porter aucune atteinte à sa dignité. […] La Religion a ses lieux et ses temps affectés pour ses sacrifices, ses cérémonies et ses autres mystères ; on ne peut les transporter ailleurs sans crime : mais ses vérités qui se produisent par la parole, sont de tous temps et de tous lieux ; parce que le parler étant nécessaire en tout et partout, il est toujours plus utile et plus saint de l’employer à publier la vérité et à prêcher la vertu, qu’à quelque autre sujet que ce soit.
Tout est permis, hors le crime, à celle qui reclame des droits aussi saints.
Leur supplice, si nous le voyions réellement, exciterait bien en nous une compassion machinale ; mais comme l’émotion que les imitations produisent n’est pas aussi tyrannique que celle que l’objet même exciterait, l’idée des crimes qu’un Personnage de Tragédie a commis, nous empêche de sentir pour lui une pareille compassion.