A plus forte raison s’interdit-on la représentation, plus dangereuse que la lecture, de toutes ces pieces : licence de représentation qui doit être sans bornes, puisque la plûpart des scènes Italiennes, comme on peut voir dans Ghérardi, ne sont ni apprises par cœur, ni composées, mais de simples esquisses, une sorte de canevas, sur lesquels chaque Acteur & chaque Actrice fait toutes les postures, & dit tous les mots qui lui viennent dans la tête, eh, quelle tête ! […] On sent bien que les théatre des provinces, moins rafinés, moins polis, plus mal composés, doivent être plus grossiers ; il est inutile d’insister sur leurs désordres, personne ne prend leur défense. […] Aujourd’hui ces deux compagnies ne font qu’une troupe, composée d’Acteurs & d’Actrices. […] Quelques Princes, qui y sont en grand nombre, ont daigné monter sur le théatre pour jouer, & tailler leur plume pour composer, ce qui fait plus d’honneur au théatre qu’au trône, & qui aparemment n’ira pas loin. […] Brumoy, Jesuite, a crû bien employer son temps à traduire la plûpart des pieces Greques, à en faire l’analise, & à composer un grand traité sur le théatre d’Athènes.
Le Président Barnabé Brisson, si célèbre par son érudition, son habileté, ses vertus et ses malheurs, a composé une espèce de traité contre la comédie, dans son savant commentaire sur la loi Dominico (Codex Theodosianus de spectaculis), où après avoir rapporté quantité de passages des saints Pères contre les spectacles, il conclut qu’on les a toujours proscrits avec raison, et que tout le monde doit les éviter avec soin. […] Lazare, et autres circonvoisines, contenant que depuis quelque temps Jacques Avenet, locataire du jeu de paume de la Fontaine, aurait introduit des Comédiens en icelui, encore que ledit lieu soit des plus incommodes de la ville, pour être la rue fort étroite et la plus passagère des carrosses, étant ladite rue Michel-le-Comte composée de maisons à portes cochères, appartenantes et habitées par plusieurs personnes de qualité, et Officiers des Cours souveraines, qui doivent le service de leurs charges, lesquels souffrent de grandes incommodités tous les jours, à cause que lesdits Comédiens exercent et jouent leurs comédies et farces, même en ce saint temps de carême, et par le moyen des embarras, des carrosses et chevaux qui se rencontrent dans ladite rue à toutes les avenues, tels que les gens de pied n’y peuvent trouver passage, et sont tous les suppliants, leurs familles et domestiques, empêchés de sortir, non pas même d’une maison à l’autre, contraints le plus souvent d’attendre la nuit bien tard pour rentrer dans leurs maisons, au grand danger de leurs personnes par l’insolence des laquais et filous, coutumiers à chercher tels prétextes et occasions pour exercer plus impunément leurs voleries, qui sont à présent fort fréquentes dans ladite rue, et plusieurs personnes battues et excédées, avec perte de leurs manteaux et chapeaux ; étant les suppliants tous les jour de comédie en péril de voir voler et piller leurs maisons, dont s’étant plaints plusieurs fois audit Avenet et fait dire aux Comédiens de se retirer et pourvoir en lieu moins incommode et passant, ils se seraient vantés d’avoir permission du Lieutenant civil, et en avoir passé bail pour ledit temps. […] Nous avons vu que les Clercs des Procureurs s’avisèrent de composer et de jouer des pièces qui ne furent d’abord que des mystères, qu’on déguisa sous le nom de moralités. […] Quel rapport entre des mystères de la religion grossièrement rendus, il est vrai, mais édifiants, et des intrigues profanes, le plus souvent criminelles, polies, si l’on veut, élégamment composées, mais très pernicieuses, entre une confrérie formée par la religion pour des exercices pieux, et une troupe de gens dissolus rassemblés par le libertinage ? […] La plupart de ces mystères furent composés par des Ecclésiastiques, des Religieux, et même des Evêques : les Prêtres, les Curés y jouaient les premiers rôles ; c’était même un honneur qu’on réservait aux personnes constituées en dignité.
Ce n’est donc point assez d’avoir composé en France une pièce de Théâtre ; ce n’est point assez d’avoir à essuyer les intrigues, les cabales, les dégoûts sans nombre inséparables de la carrière dramatique ; ce n’est point assez d’avoir à supporter les tracasseries les plus étranges, les rivalités les plus humiliantes. […] J’ai du moins saisi la seule gloire où il m’étoit permis d’aspirer ; celle d’ouvrir la route & de composer le premier une Tragédie vraîment nationale. […] Falloit-il enfin perdre tes veilles à composer des Tragédies allégoriques, à retracer en vers excellens, mais peu tragiques, & encore moins philosophiques, les amours du jeune Louis XIV, & de la fille de Charles premier, ou les amours du vieux Louis XIV & de la veuve Scarron ? […] Rappellez-vous bien que la Mandragore fut composée au commencement du seizième siècle ; dans un pays où les Monastères ont fourni tant de Souverains Pontifes ; dans les momens où la Cour de Rome avoit besoin d’exagérer le respect qu’on doit aux Prêtres ; quand l’Eglise étoit divisée par une foule d’hérésies ; quand Martin Luther ébranloit déjà le trône Apostolique. […] Si des Tragédies composées dans un but aussi moral, aussi patriotique, ne peuvent encore être représentées en France, je m’occuperai, dans le silence du Cabinet, d’une génération plus heureuse & plus raisonnable que la nôtre.