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57. (1772) Réflexions sur le théâtre, vol 9 « Réflexions sur le théâtre, vol 9 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE NEUVIEME. — CHAPITRE II. Melanie. » pp. 29-71

Ce n’est pas dans son cœur que l’Auteur a trouvé ces monstres. […] Si jusqu’ici mon cœur a toujours résisté, Qui triomphe cent fois peut être enfin dompté. […] Le cœur humain est une machine, & le ressort joue, une étincelle met le feu à la poudre. […] Quel essor ne prend pas son cœur ? […] On agit pour son cœur, lire en son cœur, interroger le cœur, un cœur étranger, aux sentimens d’un autre cœur.

58. (1823) Instruction sur les spectacles « Chapitre XIII. L’Opéra est le plus dangereux de tous les spectacles. » pp. 111-117

Entendra ces discours sur l’amour seul roulant, Ces doucereux Renaud, ces insensés Roland ; Saura d’eux qu’à l’amour, comme au seul dieu suprême, On doit immoler tout, jusqu’à la vertu même ; Qu’on ne saurait trop tôt se laisser enflammer ; Qu’on n’a reçu du ciel un cœur que pour aimer ; Et tous ces lieux communs de morale lubrique Que Lully réchauffa des sons de sa musique ? Mais de quels mouvements, dans son cœur excités, Sentira-t-elle alors tous ses sens agités ? […] C’est là que la volupté entre par tous les sens, que tous les arts concourent à l’embellir, que la poésie ne rime presque jamais que l’amour et ses douceurs ; que la musique fait entendre les accents des passions les plus vives ; que la danse retrace aux yeux ou rappelle à l’esprit les images qu’un cœur chaste redoute le plus ; que la peinture ajoute à l’enchantement par ses décorations et ses prestiges ; qu’une espèce de magie nous transporte dans les pays des fées, à Paphos, à Cythère, et nous fait éprouver insensiblement toute la contagion de l’air impur qu’on y respire ; c’est là que tout nous dit de céder sans résistance aux attraits du penchant ; c’est là que l’âme amollie par degrés perd toute sa force et son courage ; qu’on languit, qu’on soupire, qu’un feu secret s’allume et menace du plus terrible embrasement ; que des larmes coulent pour le vice, qu’on oublie ses vertus, et que, privé de toute réflexion, réduit à la faculté de sentir, lié par de honteuses chaînes, mais qui paraissent des chaînes de fleurs, on ne sait pas même s’indigner de sa faiblesseau. » Aussi Riccoboni, auteur et comédien tout à la fois, après être convenu que, dès la première année qu’il monta sur le théâtre, il ne cessa de l’envisager du mauvais côté, déclare qu’après une épreuve de cinquante années, il ne pouvait s’empêcher d’avouer que rien ne serait plus utile que la suppression entière de tous les spectacles. […] Et ces airs tant répétés dans le monde ne servent qu’à insinuer les passions les plus décevantes, en les rendant plus agréables et plus vives par les charmes d’une musique, qui ne demeure si facilement imprimée dans la mémoire que parce qu’elle prend d’abord l’oreille et le cœur. […] On doit donc regarder l’invention de la musique comme un présent que Dieu nous a fait pour l’employer à chanter sa gloire, à lui exposer nos besoins, à le remercier de ses dons, à manifester notre joie dans la prospérité, à dissiper nos chagrins dans nos afflictions, à soulager nos peines dans nos travaux, à exciter enfin l’ardeur martiale dans le cœur des combattants.

59. (1759) L.-H. Dancourt, arlequin de Berlin, à M. J.-J. Rousseau, citoyen de Genève « CHAPITRE II. De la Tragédie. » pp. 65-91

Il n’aimait sûrement pas la Vertu et voilà tout à coup qu’on la lui fait aimer, et qu’on le force à pleurer pour elle : sondez son cœur dans ce moment, vous verrez qui des deux y triomphe, ou du Vice ou de la Vertu. […] Voilà mon cœur, c’est là que ta main doit frapper. […] Ce n’est point la grandeur d’âme qui le porte à se donner la mort, c’est le désespoir, c’est la rage de n’avoir pas réussi dans son affreux projet ; situation de son cœur qu’il peint si bien dans les derniers vers qu’il prononce en faisant encore un effort pour poignarder quelqu’un : « Cruels, qui redoublez l’horreur qui m’environne, Qu’heureusement pour vous la force m’abandonne : Mais croyez qu’en mourant mon cœur n’est point changé. » bv Qui voudrait-il assassiner, ce prétendu grand homme ? […] Malgré cela, la bonté de cœur de cet homme illustre est si publique, qu’il n’est pas même permis de croire qu’il se repente de vous avoir obligé. […] Il faut avoir le cœur bien corrompu, pour estimer les Catilina tels que M. de Crébillon et M. de Voltaire nous les représentent.

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