Ce n’est point encore assez ; mais ne vous déguisez rien à vous-même, et reconnoissez-le de bonne soi : n’est-il pas vrai qu’à force de lire ces sortes d’ouvrages et d’avoir sans cesse dans les mains ces livres corrupteurs, vous avez donné imperceptiblement entrée dans votre ame au démon de l’incontinence, et que les pensées sensuelles ont commencé à naître, les sentiments tendres à s’exciter, les paroles libres à vous échapper ; que la chair s’est fortifiée, et que vous vous êtes trouvé tout autre que vous n’aviez été jusques-là, ou que vous ne vous étiez connu ? […] Parce que dans les nécessités publiques l’aumône coûteroit, et que le jeu en pourroit souffrir, on ne connoît point ce commandement ; on est témoin des miseres du prochain, sans en être ému, ou si le cœur ne peut trahir ses sentiments naturels, l’esprit n’est que trop ingénieux à imaginer des prétextes pour en arrêter les effets ; on est pauvre soi-même, ou volontiers on se dit pauvre lorsqu’il y a des pauvres à soulager, mais on cesse de l’être dès que le moment et l’occasion se présente de jouer. […] Mais voyez l’insoutenable contradiction : au milieu de ces lamentations et de ces plaintes, tant de jeux ont-ils cessé ? […] Au milieu de tant d’objets différents qui tour à tour et comme par des évolutions réglées, passent sans cesse et repassent, de quoi les yeux sont-ils frappés, et à quoi se rendent-ils attentifs ? […] L’Apôtre Saint Paul souhaitoit que les fideles fussent comblés de toute sorte de joie ; et le même souhait qu’il faisoit pour ses disciples, je le fais ici pour vous-mêmes : Je vous dis comme ce Docteur des nations, réjouissez-vous, mes Freres, et réjouissez-vous sans cesse : mais quelle doit être votre joie, cette joie intérieure et spirituelle dont Dieu remplit une ame qui le cherche en vérité, et qui ne cherche que lui, qui n’aspire que vers lui, qui ne veut se reposer qu’en lui, cette joie divine qui est au dessus de tous les sens, et que l’homme terrestre et charnel ne peut comprendre.
Si un génie égal à M. de Voltaire eût fait dix ans avant lui, une Henriade ; si M. de Voltaire l’eût eue sans cesse sous les yeux, en composant la sienne, je suis persuadé que son Ouvrage eût été inférieur, non-seulement à la premiere Henriade, mais même à celle que nous admirons. […] Un Philosophe, sans cesse occupé à fonder les profondeurs de la Nature, à résoudre des problêmes, joueroit un mauvais rôle dans ces divertissemens, où la joie est poussée jusqu’à l’ivresse.
Ces grands tableaux l’instruisaient sans cesse, et il ne pouvait se défendre d’un peu de respect pour les organes de cette instruction. 5°. […] malgré mille précautions, une femme honnête et sage, exposée au moindre danger, a bien de la peine encore à se conserver un cœur à l’épreuve ; et ces jeunes personnes audacieuses, sans autre éducation qu’un système de coquetterie et des rôles amoureux, dans une parure immodeste, sans cesse entourées d’une jeunesse ardente et téméraire, au milieu des douces voix de l’amour et du plaisir, résisteront à leur âge, à leur cœur, aux objets qui les environnent, aux discours qu’on leur tient, aux occasions toujours renaissantes, et à l’or auquel elles sont d’avance à demi vendues !