La comédie, entreprenant de traiter les grandes passions, ne peut en quelque sorte se dispenser de remuer les plus dangereuses qui sont aussi les plus agréables.
Encore qu’il n’y ait rien dans ces Spectacles que de doux, que d’agréable, que de simple ; et qu’il y en ait même quelques-uns d’honnêtes, ils ne laissent pas d’être dangereux. Personne ne mêle le poison avec le fiel ou avec de l’helebore ; mais on le met dans les viandes bien apprêtées, douces et agréables au goût : De même, le diable répand son venin sur les choses de Dieu les plus agréables. […] Il arrivera peut-être qu’un homme frappé interieurement par la force de ces paroles, voudra se convertir ; et que commençant à marcher dans la voie étroite, il nous dira : Je ne puis continuer dans une vie si pénible, si je ne suis soulagé par la vue de quelque chose agréable. […] puisqu’il enseigne que la vertu d’Eutrapélie, ce grand bouclier dont se sert l’Amateur des Comédies, lui permet tellement de se répandre en des paroles et des gestes agréables, qu’elle lui défend de perdre la gravité de son âme, et d’interrompre le moins du monde cette harmonie et ce concert de vertus, qui doit remplir tout le temps de sa vie et les heures de sa journée : puisqu’enfin dans l’Article suivant, saint Thomas condamne de péché mortel le ris et la joie immodérée. […] et l’on a trouvé moyen de s’en faire un Spectacle agréable, et d’y penser en riant !
Savez-vous ce que vous faites, dit ce saint Docteur, quand vous donnez tant d’applaudissemens à ces jeux profanes, où le vice est dépeint avec tant de vives & d’agréables couleurs ? […] On y censure les vices, dit-on ; mais c’est d’une façon à ne les rendre que plus aimables, par les descriptions agréables qu’on en fait : il n’y est parlé que d’intrigues & d’amourettes, qui enseignent à de jeunes cœurs l’art d’aimer avec politesse, & de faire de criminelles conquêtes. […] Dieu a donné des Prophétes aux hommes, pour leur annoncer des volontés saintes, pour leur faire des portraits affreux de leurs désordres, afin de les rappeller à lui par la pénitence ; & pour leur prédire les malheurs dont ils étoient menacés, s’ils ne gardoient pas sa sainte Loi : mais il ne leur a jamais donné des baladins & des bouffons, pour leur faire des récits agréables & enjoués des désordres les plus honteux, sous le masque spécieux des plus mordantes critiques, afin qu’ils s’y abandonnassent sans scrupule & sans pudeur. […] Comme un salpêtre qui prend feu à la moindre étincelle, elle se porte avec ardeur à des désordres quelle n’entend qualifier que d’agréable servitude, que d’aimables chaînes, que de doux martyre ; & le démon, comme un troisiéme ennemi, le plus artificieux de tous, ne tarde guéres à achever par ses secrets enchantement ce que le monde, la chair & les passions lui ont préparé de victoires.