Le Président Henault est un homme aimable & plein d’esprit, il s’est fait un nom par un abrégé de l’histoire de France, où regne beaucoup d’ordre & de méthode, semé de réflexions fines & judicieuses, d’un style élégant & naturel, d’un ton de modération & d’impartialité ; quoique dans le fonds, flatteur, courtisan & nationnal ; il vouloit plaire & il a plû. Cet ouvrage a eu le plus grand succès, & une foule d’imitateurs ; il eût dû s’en contenter, tout au plus y ajouter son théatre historique, qui peut en être regardé comme la suite ; ce n’est qu’une autre maniere d’écrire l’histoire de France : qui se seroit attendu qu’à l’âge de 80 ans, ce grave Magistrat se donnât pour comédien, & voulut, pour terminer plus glorieusement sa carriere, joindre à sa couronne les lauriers de Melpomene & de Thalie, qu’il auroit dû craindre de flétrir en les y mettant. […] Le Président Henault n’a fait qu’appliquer ces idées à l’histoire de France, dont il est plein : on a eu tort dans les Journaux qui ont fait très-justement son éloge, de donner ses ouvrages pour tout-à-fait neufs, le fond de l’idée est ancien & commun. […] Personne ne peut lui en disputer le mérite & la gloire, en joignant toutes ces qualités au talent du théatre qu’il avoit exercé dès sa jeunesse, il eût réussi mieux qu’un autre à remplir son projet d’histoire théatrale, & animer sur la scéne ce qu’il avoit dit dans son abrégé : nous aurions une histoire de France ; de la façon de Melpomene qui auroit usurpé les droits de sa sœur fameuse dans l’histoire. […] Voltaire-même les a faites & plus fortement encore ; on seroit bien injuste de ne pas avouer que la galanterie a presque tout affoibli ; que d’environ quatre cent tragédies données au théâtre, depuis qu’il est en possession de quelque gloire en France, il n’en est pas dix ou douze qui ne soient fondées sur leur intrigue d’amour ; plus propre à la comédie qu’au genre tragique, c’est presque toujours la même piece, le même nœud formé par une jalousie, dénoué par un mariage, une coquéterie perpétuelle, une vraie comédie, où des Princes sont acteurs, & dans laquelle il y a du sang répandu pour la forme.
Celui-là termine la branche de Valois après trois siecles de regne ; celui-ci fait monter sur le trône la branche de Bourbon, qui y fait depuis près de deux siecles la gloire de la France. […] Pendant trois mois qu’il fut Roi de Pologne, s’ennuyant de la gravité Polonoise, il demeura renferme dans son cabinet avec ses Favoris, s’occupant à s’entretenir des galanteries de France, à dépêcher des couriers, à écrire des lettres à ses maîtresses avec son sang qu’il faisoit couler par des piquures, & enfin à mille jeux bruyans & tumultueux, sans s’embarrasser des Grands & des Sénateurs Polonois. Il en partit la nuit en fugitif, pour venir prendre possession du royaume de France à la mort de son frere, & quoique tout y sur dans le trouble & dans le désordre, il s’amusa plusieurs mois dans la route à une multitude de fêtes qu’on lui donna sur son passage. […] Ce fut sous son regne que les Comédiens Italiens vinrent en France, & s’y établirent. […] Depuis le Cardinal de Richelieu il a été fait en France des milliers de pieces de théatre ; on en estime une cinquantaire, tout le reste n’a fait de chez Serci qu’un saut chez l’épicier.
En France, en Espagne, en Portugal, les représentations théatâles n’ont point été une matiere d’accusation, cet usage étoit chez eux public, & reçu, tout le monde y venoit, tous les enfans y jouoient, les Magistrats eux-mêmes avoient été acteurs, & laissoient jouer leurs enfans. […] Bien des Evêques depuis un demi siécle, ont donné cette comédie à la France, contre toutes les regles, & au grand préjudice de la Réligion, par les innombrables variétés de leur liturgie ; mais Cahors s’est singuliérement distingué, par le ridicule de ses fêtes, de ses légendes, hymnes antiennes, canons dont plusieurs paroîtroient avec honneur, sur le théatre. […] Les calendriers ne different pas moins ; ici un Saint, ailleurs un autre, le Diocèse étoit un Echiquier où chaque Paroisse faisoit sa case différente. l’habit d’arlequin n’est pas plus bisarrement découpé : telle est l’Eglise de France, les Diocèses sont entr’eux comme les Paroisses du Querci. […] Chez toutes les nations de la terre, de Pekin à Gibraltar ces femmes auroient été prises pour des foles, on les auroient enfermées ; mais en France les folies des Dames sont des graces, leurs sortises des gentillesses, qu’on se fait un devoir d’admirer, on les traite comme des enfans, leurs adorateurs ne sont-ils pas des enfans aussi, que le hochet de l’amour amuse ? […] En France les femmes toujours sujettes, sont exclues de la Couronne ; au théatre François, les hommes toujours soumis, sont exclus du gouvernement ; ils ont mis la couronne sur la tête des Dames, ils ont pris la quenouille.