Et pourquoi affecte-t-on de mettre de tels discours dans la bouche de ces personnages qu’on nous représente d’ailleurs comme dignes de notre estime, sinon pour nous persuader que l’amour n’est pas aussi condamnable que l’Evangile veut nous le faire croire ; qu’il est ou un penchant légitime de la nature, ou tout au plus une foiblesse pardonnable, puisqu’enfin c’est celle des héros ? […] quelle opposition entre la morale de l’Evangile & celle du théâtre ! […] Nous n’en connoissons point d’autres que celles dont l’Evangile est la règle, dont la grace de Jésus-Christ est le principe, dont la gloire de Dieu est la fin. […] Voilà ce que nous entendons tous les jours ; voilà ce qui attire aux Ministres de l’Evangile, lorsqu’ils croient devoir censurer ces spectacles pernicieux, des reproches odieux d’ignorance, de prévention, de zèle aveugle & inconsidéré : reproches qui doivent nous affliger sans doute, parce qu’ils prouvent l’endurcissement de ceux qui nous les font, & leur opposition à la sainte doctrine de Jésus-Christ ; mais reproches que nous devons nous faire gloire de braver & de mépriser, parce que nous savons que le monde doit nous haïr comme il a haï notre divin Maître ; parce que nous ne pouvons nous taire sur ces abus, sans trahir notre ministère ; & que si nous étions capables de penser ou de parler sur les Spectacles d’une manière qui pût plaire au monde, nous ne serions plus les serviteurs de Jésus-Christ.
C’EST la demande qu’un pauvre Aveugle fait au Sauveur du monde dans l’Evangile de cette semaine ; Fils de David, soit que vous soyez un Prophete, ou le Messie que nous attendons, soit que, comme un autre Moyse, vous ayez reçû la puissance de faire des prodiges, voicy un objet digne de vôtre compassion, accordez-moy par pitié, ce que la nature m’a refusé en me donnant la vie, & qui, par ce refus, m’a privé de toutes les joyes que l’on peut avoir en ce monde ; ouvrez mes yeux qui ne sont ouverts qu’aux larmes, étant fermez à la lumiere du jour. […] Si l’oisiveté est condamnée dans l’Evangile, & si ce fut un suffisant motif, pour obliger le Fils de Dieu à faire le procés à un serviteur inutile ; que doit-on penser de tant de personnes de l’un & de l’autre sexe, qui passent les nuits dans une sale de bal, & la plus grande partie du jour dans les assemblées du beau monde, qui se trouvent à toutes les comedies, à tous les jeux publics, & à tous les spectacles, & qui ne seroient pas contens d’eux-mêmes, s’ils n’avoient part à toutes ces sortes de divertissemens ? […] Que si ces spectacles nous mettent ainsi en danger de prendre l’esprit du monde, il n’y a pas moins de sujet de craindre qu’il ne nous en imprime les sentimens, & les maximes, sur lesquelles ensuite l’on regle sa vie & sa conduite ; puisque ces spectacles sont comme une école, où l’on enseigne une Morale toute contraire à l’Evangile, & à la Religion. […] non, encore une fois ; car comme la plûpart des veritables vertus, qui sont celles de l’Evangile, n’y peuvent trouver de place, & que ce seroit un Heros d’un caractere bien nouveau, d’y representer un homme patient, humble, insensible aux injures, & en un mot, un veritable Chrétien ; on a substitué de fausses vertus, pour exprimer, & pour exciter ces sentimens que le monde appelle nobles & genereux ; le point d’honneur, pour lequel on expose sa vie dans un combat singulier, la passion de dominer, & de s’élever par toutes sortes de voyes, des fourberies, des trahisons, des perfidies, des amitiez qui engagent dans le crime pour servir un amy ; on y voit enfin couronner le vice, authoriser l’injustice par d’illustres exemples, & les maximes les plus contraires à la Religion, passer pour de grandes vertus, & pour des exploits signalez, sans quoy le Theâtre languiroit ; il faut donc pour l’animer, y representer des choses conformes au goût & aux inclinations des spectateurs.
il faut que l’esprit & les leçons du théatre aient donné bien de l’ascendant à l’irréligion & au vice, & que cet esprit soit bien marqué au sceau de la réprobation ; il faut que la piétié & la comédie, l’Évangile & le spectacle, soient des ennemis bien déclarés & bien irréconciliables, pour ne pouvoir entendre parler l’un de l’autre. […] L’Évangile ne parle que d’une, c’est l’adultère, exceptâ fornicationis causà, quoiqu’à la rigueur il puisse y en avoir d’autres qu’il ne condamne pas, & que les Tribunaux autorisent. […] Bon, bon, vous nous citez l’Évangile de S. Matthieu, & notre Évangile est le théatre de Moliere.