Ce n’est point, comme était l’ancienne, une école d’impudicité ; on n’y voit ni postures ni actions indécentes, les paroles libres en sont bannies et c’en serait assez pour faire siffler et choir la pièce la plus excellente, s’il y avait, même en petit nombre, des équivoques grossières. […] D’autres soutiennent au contraire que la comédie d’aujourd’hui, tout épurée qu’elle est des infamies de l’ancienne, est encore une école très dangereuse, et que ce qu’on y voit et ce qu’on y entend ne peut que corrompre les mœurs ; et effectivement on y voit et on y entend tout ce qui peut fasciner les yeux, tout ce qui peut charmer les oreilles, tout ce qui peut séduire le cœur.
Quand on objecte aux Défenseurs du Théâtre l’autorité des Pères de l’Eglise qui l’ont si formellement condamné, ils ne manquent pas de répondre, que ces Spectacles, qui ont attiré l’indignation des premiers Chrétiens, étaient des Ecoles de Paganisme, et qu’ils faisaient partie du culte que les Gentils rendaient à leurs fausses Divinités. Ils ajoutent que ces mêmes Pères ne pouvaient imaginer, pour lors, que les Spectacles prendraient quelque jour une autre forme et deviendraient des Ecoles de la vertu, tels enfin que des Chrétiens pourraient les représenter ou y assister, sans blesser en rien ni leur conscience, ni leur religion : d’où ils concluent que les vives déclamations des Anciens Pères, contre le Théâtre de leur temps, ne prouvent rien contre les Spectacles d’aujourd’hui.
Dès que le théatre parut, il fut accusé par le plus sage des Grecs d’en être une dangereuse école. […] Formées à l’école d’un Dieu, qui dit, Je suis là voie, la vérité, la vie ; ne répondez que par un oui ou par un non, tout ce qui est au-delà vient d’un mauvais principe, comment ces vertus pourront-elles ne débiter que des mensonges, n’offrir que des illusions, ne se montrer que sous le masque ? […] Que de graves apologistes, Marmontel, Boursault, Fagan, Laval, &c. ces vénérables Pères de l’Église, viennent nous dire d’après Arlequin, la comédie corrige les mœurs, castigat ridendo mores, le vice y est toûjours puni, c’est une école excellente de vertu, &c. nous les prierons d’enchasser ces belles tirades dans la comédie du Menteur, dont elles pourront alonger les scènes, & de compter pour quelque chose Aristote, Horace, Plaute, Térence, dont le grand Corneille emploie l’autorité, & ce père du théatre lui-même, qui les valent bien, ne fût-ce que pour la droiture & la sincérité. […] La comédie est un péché, c’est un corps de mensonge, vif, orné, animé, varié, mis dans tous les jours favorables, une école, un exercice de mensonge, savant, séduisant, malin, passionné.