Je n’en dirai pas d’avantage, parce que si je voulais expliquer les raisons qui me forcent à rejeter l’Ecole des Maris, je serais obligé de rappeller les endroits les plus dangereux de cette Pièce ; et je ne crois pas qu’il me convienne de faire revivre des idées que je condamne. Quand la critique ne roule que sur l’art ou sur l’esprit d’un Auteur, il est juste de la modifier ; mais quand elle regarde les mœurs, je crois qu’on ne saurait trop tôt se taire ; j’ai loué Molière autrefois en parlant de cette Pièce16, et je conviens qu’il mérite toute sorte de louange par rapport au génie et à l’art qu’il y a mis ; mais pour ce qui regarde les mœurs, loin de l’approuver je suis au contraire persuadé que ses plus grands partisans (parmi lesquels j’ose me compter, d’autant plus que je l’ai étudié à fond) je suis persuadé, dis-je, que ses plus grands partisans pensent comme moi de l’Ecole des Maris, et la banniraient, comme je fais, du Théâtre de la réforme. L’ECOLE DES FEMMES, Cette Comédie est le contrepied de la précédente : dans l’Ecole des Maris c’est l’esprit qui sert la passion, et dans l’Ecole des Femmes c’est la passion qui donne de l’esprit : l’une et l’autre de ces Pièces semblent être imaginées tout exprès pour gâter le cœur et pervertir l’innocence de la jeunesse la mieux élevée ; les filles d’esprit et les innocentes y trouvent également des leçons très dangereuses sur un point qui ne devrait jamais être traité devant les jeunes gens, et moins encore sur le Théâtre que partout ailleurs. […] Les gens de talent et de goût diront sans doute que c’est un grand malheur de ne pas trouver des expédients pour corriger ces deux Pièces, qui du côté de l’art et du génie, sont des modèles si parfaits et si propres à servir d’Ecole aux Poètes : peut-être même me reprochera-t-on de ne l’avoir pas tenté ; mais je réponds qu’après les avoir examinées avec soin je les ai trouvées telles que je les avais d’abord envisagées, c’est-à-dire non susceptibles d’aucune correction ; quant aux Poètes qui les regretteront, je les exhorterai à les étudier dans leurs cabinets, à condition néanmoins qu’ils proposeront ces deux Comédies, autant comme des modèles à fuir par rapport aux mœurs, qu’à imiter par rapport au talent.
Sa Poëtique nous dit assez que c’étoit pour fonder sur des Loix invariables une Ecole Theatrale, comme il avoit affermi sur d’inébranlables principes une Ecole Philosophique dans le Lycée. […] La Scéne dans sa premiere destination pouvoir être une excellente Ecole de Vertu, & nôtre dépravation en a fait une pernicieuse école du vice. […] J’ai des Ecoles de toutes sortes ; Ecole des maris, Ecoles des femmes, que sçai-je ? Ecoles pour d’autres Etats. […] Qu’une Ecole, que vous avez livrée au vice, devienne, par vos efforts, une Ecole de vertu.
L’École des Maris & l’École des Femmes de Moliere, dont le fonds est pris des Adelphes de Térence & du Décameron de Bocace, & qui ont servi de modelle à vingt autres comédies, l’École des Pères, l’École des Mères, des Filles, des Garçons, des Jaloux, des, &c. semblent par leur titre promettre de sages leçons & une bonne morale sur le mariage ; mais les paroles des Comédiens, comme celles des amans, Jupiter s’en moque, perjuria ridet Jupiter ; toutes ces écoles prétendues sont l’école la plus pernicieuse pour les mœurs, singulierement pour le mariage. […] Toutes ces écoles sont de vrais scandales. […] L’intrigue de l’École des Femmes est la même. […] Le dénouement est le même dans l’École des Maris. […] L’adultère un cas fortuit qu’on ne peut empêcher, le voir avec indifférence, s’en faire un plaisir, le souhaiter ; voilà l’école des maris & des femmes.