Et il n’y a nul désordre qui ne pût passer, si la coutume qui est ordinairement pour le mal, suffisait pour l’autoriser.
Je prie le Lecteur de faire attention à ce sage précepte d’Aristote ; « Pour connaître si une chose est bien ou mal dite, ou bien ou mal faite, il ne faut pas se contenter d’éxaminer la chose même, & de voir si elle est bonne ou mauvaise ; il faut avoir égard à celui qui parle ou qui agit2. » Ce passage du Philosophe Grec empêchera qu’on ne puisse triompher en attaquant le Théâtre moderne ; cet axiome est même construit de manière qu’il est difficile de trouver des fautes dans l’ouvrage le plus mauvais, tant il offre d’excuses, & de moyens de se disculper.
Et, retournant desdits jeux, se moquaient hautement et publiquement, par les rues, desdits jeux et des joueurs, contrefaisant quelque langage impropre qu’ils avaient ouï desdits jeux ou autre chose mal faite, criant par dérision que le Saint Esprit n’avait point voulu descendre et par autres moqueries. […] Sexto, il advient mille inconvénients et maux car, sous couleurs de ces jeux, se font plusieurs parties et assignationsan, infinies fornications, adultères, maquerellages et pour cette cause est eadem rubrica seu titulo in libro XI, capitulo « De spectaculis et scenicis et lenonibus » ao.
Le bien y est appelé mal, le mal bien, les ténèbres lumières, on y fait passer le doux pour amer, et l’amer pour doux, on élève jusqu’aux Cieux des actions pour lesquelles Dieu précipite irrémissiblement dans les enfers ; plus elles sont colorées d’une image de grandeur et de générosité, plus leur représentation est dangereuse.
Il faudrait, ajoute-t-il, pour représenter ce spectacle, les tragédies d’Echyle et de Sophocle, encore même ne pourraient-elles pas atteindre à l’excès de ces maux : « Quæ Carthaginenses passi sunt Æschilis et Sophoclis tragediis egerent, atque horum quoque linguam vinceret malorum magnitudo. » Cette ville si puissante, si riche, qui a longtemps disputé à Rome l’empire du monde, qui a mis Rome à deux doigts de sa perte, qu’à peine Rome a pu vaincre après trois grandes guerres, est aujourd’hui le jouet des barbares : « Illa a Romanis vix capta, quæ cum maxima Roma de principatu certaverat, eamque in summum discrimen deduxerat, modo facta est ludibrium barbarorum. » Ses célèbres Sénateurs, errants et fugitifs dans toute la terre, attendant pour vivre quelque aumône des gens charitables, arrachent les larmes des yeux, et présentent le plus triste tableau de l’instabilité des choses humaines : « Orbe toto errantes, vitam ex hospitalium manibus sustentantes, cient spectantibus lacrimas, et rerum humanarum instabilitatem declarant. » Cet Auteur ajoute que peu de temps auparavant, les habitants de Trèves, après avoir vu trois fois piller, saccager et brûler leur ville par les Francs, eurent la folie de demander des spectacles pour toute consolation et tout remède à leurs maux : « Quis æstimare hoc genus amentiæ possit qui excidio superfuerant quasi pro summo deletæ urbis remedio, circenses postulabant ?
On se plaint que les terres sont mal cultivées, qu’il manque de cultivateurs. […] n’est-ce qu’un petit mal d’en détourner les hommes jusqu’à leur faire perdre jusqu’à vingt millions de journées par an dans un royaume ?
Pierre (Annales politiques, année 1663.) parlant d’une grande famine pendant laquelle Louis XIV fit un magnifique carrousel : « On trouva à redire à cette grande dépense ; effectivement, quoique les particuliers qui y faisaient de la dépense n’eussent peut-être rien donné aux pauvres qui mouraient de faim, il semble qu’il sied mal de donner des fêtes et de faire faire des dépenses superflues dans un temps de misère publique, que l’on voit dans les rues et les grands chemins des malheureux mourir de faiblesse. » Sur l’année 1664, il dit : « La peinture, la musique, la comédie, prouvent les richesses présentes d’une nation, mais non pas son bonheur. […] Ainsi, dit le Prophète, on loue le pécheur dans les désirs de son cœur, et on bénit celui qui fait le mal : « Laudatur peccator in desideriis animæ suæ. » C’est S.
Il est très-bon, comme je l’ai dit, d’exciter en nous la Pitié, & d’entretenir cette sensibilité que la Nature nous a donnée pour les malheurs de nos semblables ; mais les Poëtes Tragiques plus empressés d’amuser que d’instruire, pour exciter dans les Spectateurs une violente émotion, faisoient retentir les plaintes de malheureux qui s’abandonnant à la plus vive douleur, loin d’apprendre à supporter les maux de la vie, & les injustices avec patience, étoient les modeles de toute l’impatience d’une Nature irritée, & qui demande vengeance.
Augustin, ils ne pècheraient jamais ; et si le mal ne se glissait sous l’apparence du plaisir, il n’entrerait jamais dans leurs âmes.
Il n’est ni orateur ni poëte, il versifie assez mal, et la plupart de ses pièces sont en prose. […] Il a mal connu l’esprit et les devoirs de son état et il a dû aller bien secrètement à l’école, et en déguiser bien adroitement les leçons, s’il a fait quelque cas de sa réputation ; la seule idée que ses talents étaient l’ouvrage des comédiens l’eût décrédité sans retour. […] Jamais on n’a tant et si peu écrit et si bien et si mal. Tant, à compter les feuilles d’impression ; si peu, à peser la solidité des ouvrages : si bien, si on ne cherche qu’à s’amuser ; si mal, si on désire de s’instruire.
Mais jetons un coup d’œil rapide sur les ministres d’une religion austère, sur ceux mêmes qui en suivent extérieurement les préceptes, sur tous ceux qui la font servir à leurs lâches projets, soit pour satisfaire leur envie, soit pour protéger leur ambition, et nous trouverons comme compagnes inséparables de leurs caractères : l’insatiabilité, qui les rend avides de richesses, d’honneurs et de vénération servile ; l’égoïsme, qui les porte à tout faire pour eux-mêmes et à ne rien rapporter aux autres ; insensibilité, qui, après avoir endurci leurs cœurs à la vue des maux qui accablent l’humanité, à l’aspect des souffrances qui précèdent la mort, et que, dans leurs exercices, ils sont appelés à contempler, rend leur âme inaccessible aux douces impressions de la vertu et aux charmes de la sociabilité ; la cupidité, qui les rend sévères pour ceux dont la misère réclame des soins qu’elle ne peut assez récompenser, adulateurs et serviles auprès de ceux à qui les richesses et le faste permettent de faire de nombreux sacrifices.
Mal à propos associe-t-on les Italiens aux Anglais dans la façon de penser, qui est toute différente.
La vie d’Elisabeth approvisionne le théatre, quoique ce soit dans ses mariages qu’elle a le plus joué la comédie, c’est là pourtant qu’elle en a renversé toutes les loix ; toutes les intrigues sur la scène se terminent bien ou mal par un mariage, mais sur la scène de Londres tous les mariages sont manqués, toutes les intrigues infructueuses ; l’héroïne de la pièce est une Penelope qui amuse tous ses amans & se moque d’eux ; il est vrai que la Penelope Grecque étoit mariée, avoit des enfans, attendoit son mari, & n’avoit jamais eu de galanterie ; la Penelope Angloise ne subit jamais les loix de l’hymen, ne contribua pas, du moins ne parut pas contribuer à la population, & quoique toujours très vierge dans l’ancien & dans le nouveau monde, commença & finit sa vie par des galanteries avouées, & remplit l’incognito, l’intervalle par des amusemens sans conséquence pour la virginité. […] L’Église Romaine l’employe avec fruit pour maintenir la dévotion des Fidèles, & les Protestans qui absolument décharnent le culte, suppriment les cérémonies, dépouillent les Temples, & les Ministres connoissent mal le cœur humain, & ne ménagent pas les intérêts de la piété ; mais on a raison de se moquer d’un système de Religion bisarre & inouï dans le Christianisme, dont une partie détruit l’autre. […] Pour excuser tant d’atrocités, & de fourberie qu’on ne peut dissimuler, on se jette sur l’imprudence des Papes qui, dit-on, ne ménagèrent pas assez Elisabeth, reçurent mal ses Ambassadeurs, l’excommunièrent, la déposèrent, délièrent ses Sujets du serment de fidélité, sur quoi on lui fait dire ce bon mot : Le Pape veut donc tout perdre pour me faire beaucoup gagner ; c’est la fable du loup & de l’agneau ; on pourroit dire que c’étoient la France & l’Espagne qui aigrissoient les Papes contre elle, qu’il lui étoit si aisé de se concilier avec eux, qu’elle se ligue avec Sixte V contre Philippe II ; on pourroit dire que les Souverains, comme les particuliers ont quelquefois des caractères brusques, & des momens de mauvaise humeur qu’il peut leur échapper, des vivacités & des aigreurs, qu’on rend mal leurs paroles, qu’on empoisonne leurs expressions. […] Quaud on vint le matin lui dire qu’il étoit temps de partir, elle se lève, prend son manteau, se couvre modestement de son voile, & marche vers l’échaffaud un crucifix à la main qu’elle ne cesse de regarder & de baiser avec le plus tendre respect ; quand elle y fut montée, ella adressa la parole à ses Juges & au peuple nombreux, que la curiosité y avoit attiré, elle proteste qu’elle est innocente du crime dont on l’a accusée, qu’elle meurt dans la Religion Catholique Apostolique & Romaine prête à perdre mille couronnes & mille vies pour cette sainte Religion qui fait tout son crime ; qu’elle pardonne de bon cœur tout le mal qu’on lui a fait ; qu’elle prie tous ceux qu’elle a pu avoir offensés de lui pardonner : le bourreau se jette à ses pieds pour lui demander pardon de ce que son devoir l’oblige de faire, elle lui pardonne volontiers, mais ne voulut point qu’il touchât à ses habits, se fit ôter son voile par ses filles, elle se mit à genoux, invoqua la Sainte Vierge & les Saints, pria Dieu pour le Royaume d’Écosse, de France & d’Angleterre pour le Roi son fils, la Reine Elisabeth, ses juges & ses persécuteurs, se banda les yeux, tend son cou au bourreau, récitant tout haut ses prières, & à ces paroles qu’elle répéta plusieurs fois : In manus tuas, commendo spiritum meum.
Plein des agitations de la Ligue, qui avait bouleversé tant de têtes, et dont il avait vu les restes mal éteints, et de celles de la Fronde, qu’il vit en entier, naturellement dur et fier, incapable de jamais plier, enflé par ses succès et sa supériorité décidée sur tous ses rivaux, aigri par la querelle puérile que lui fit le Cardinal de Richelieu, il ne respire que vengeance, hauteur et indépendance, et ne connaît le joug de la monarchie que pour le secouer. […] Mais quand j’aurai vengé Rome des maux soufferts, Je saurai le braver jusques dans les enfers. […] Car vous pouvez bien plus sur un cœur affligé Que le respect des Dieux qui l’ont mal protégé. […] Ces dieux qui l’ont flatté, ces dieux qui m’ont trompée, Ces dieux qui dans Pharsale ont mal servi Pompée, Qui la foudre à la main ont pu voir l’égorger. […] Gusman respire encore, un bras désespéré N’a porté dans son sein qu’un coup mal assuré.
Peut-être y a-t-il parmi nous des hommes assez corrompus pour que l’assistance aux Spectacles, quelque condamnable qu’elle puisse être, soit encore le moindre mal qu’ils commettent : peut-être ne pourroit-on les priver entièrement de ce plaisir, sans donner lieu à des désordres plus honteux pour les mœurs, plus dangereux pour l’Etat, plus ruineux pour les familles. Dans cette supposition les Spectacles peuvent être regardés comme un mal nécessaire ; & loin d’exercer sur le Gouvernement qui les tolère une censure téméraire, nous ne devons que gémir sur la douloureuse nécessité où il se trouve réduit. […] Appliquez-vous à vous-mêmes, mes Frères, cette réflexion : le Spectacle ne fait point sur vous d’impression dangereuse ; mais il en feroit sur un cœur pur & encore novice dans la connoissance du mal ; mais il en fait sur cette jeune personne que vous y conduisez ; il lui fait éprouver un sentiment jusqu’alors inconnu ; il remplit son esprit d’une curiosité inquiète, son cœur de désirs confus, son imagination de fantômes importuns.
Elle fut inconnue à Rome dans les tems vertueux de la République, & même dans le régne des premiers Césars ; elle étoit si opposée aux mœurs romaines, & elle eût mal figuré avec la couronne de lauriers qu’ils se faisoient gloire de porter ; des cheveux poudres d’or n’ont pas l’air militaire, ni l’air Magistrat, de pareilles têtes au Sénat, à la tribune, à l’armée auroient fait pitié. […] La beauté du papier, l’élégance des vignettes, nouveautés de caractères, richesse de la relieure, &c. c’est du blanc & du rouge appliqués aux productions de l’Écrivain ; une habile ou mauvaise actrice, comme une adroite, ou mal adroire coëffeuse fait accueillir ou siffler une piéce, comme une coquête bien ou mal parée.
L’Auteur cite mal le septième dimanche après Pâques, il n’y en a point de septième ; mais il est peu familier avec les fêtes & les sermons ; il faut le lui pardonner. […] Moliere eût manqué son but s’il n’eut fait ressembler son imposteur aux hommes de bien ; on n’est hypocrite que pour avoir l’extérieur & l’apparence de la vertu qui cachent le vice, mais cette ressemblance tournée en ridicule, rend suspect le véritable homme de bien, & dégoûte de la vertu qui peut si aisément être suspecte ; quand ensuite Louis XIV la permit, il fit changer le nom de Tartuffe en celui d’Imposteur, parce que ce mot qui est de son invention est un de ces mots imitatifs qui peuvent s’appliquer au bien & au mal ; ce mot peint un homme doucereux & affecté, qui peut être bon ou mauvais, & qui fait une confusion dangereuse du vice & de la vertu. […] Voyez Angélique, elle n’a pas plus de pudeur qu’Armide ; elle joue au pauvre Roland un tour qu’on ne pardonneroit pas à une vraie guenippe, & je trouve que Roland ne fait pas trop mal de faire tapage & de jeter les meubles par les fenêtres.
Sans doute l’inégalité des conditions ne doit pas seule décider des mariages ; mais il en est de si honteuse, de si mal assortie, dictée par le libertinage, qu’on a droit de faire des efforts pour empêcher le déshonneur de sa famille, & il n’est pas de la sagesse du Législateur de lui lier absolument les mains. […] L’inimitié irréconciliable, les mauvais traitemens, le mal venerien, la fureur, la démence, tout crime qui mérite une punition corporelle ou infamante.
Celui de l’action de nos Pièces est toujours mal choisi, eu égard aux Spectateurs. […] L’homme est trop méchant pour s’intéresser à plusieurs personnes à la fois : c’est bien assez qu’il partage les maux ou la joie d’une seule.
« Je ne trouve pas, dit Montagne, grand choix entre ne sçavoir que mal dire, ou ne sçavoir que bien dire. » Pourquoi donc passer la moitié de sa vie à limer un ouvrage ?
Les François la représentoient dans une salle obscure, mal décorée, où quelques centaines de personnes pouvoient à peine se rassembler.
On ajuste cet épisode toujours assez mal, à un grand évenement qu’il doit produire ou empêcher.