Ils ajoutent que ces mêmes Pères ne pouvaient imaginer, pour lors, que les Spectacles prendraient quelque jour une autre forme et deviendraient des Ecoles de la vertu, tels enfin que des Chrétiens pourraient les représenter ou y assister, sans blesser en rien ni leur conscience, ni leur religion : d’où ils concluent que les vives déclamations des Anciens Pères, contre le Théâtre de leur temps, ne prouvent rien contre les Spectacles d’aujourd’hui.
Sur l’échafaud l’on y dresse des autels chargés de Croix et ornements Ecclésiastiques, l’on y représente des Prêtres revêtus de surplis, même aux farces impudiques, pour faire mariages de risées : L’on y lit le texte de l’Evangile en chant Ecclésiastique, pour, (par occasion,) y rencontrer un mot à plaisir qui sert au jeu : Et au surplus il n’y a farce qui ne soit orde sale et vilaine, au scandale de la jeunesse qui y assiste, laquelle avale à longs traits ce venin et poison, qui se couve en sa poitrine, et en peu de temps opère les effets, que chacun sait et voit trop fréquemment.
Un cœur droit, un honnête homme, à tout moment contraint, déconcerté, ne sauroit ni représenter ni goûter un tissu de mensonges. […] Vous croiriez encore à chaque piece voir représenter le Menteur & la Suite du Menteur.
Chez nos aïeux il commença par la dévotion ; ce furent des mystères de la religion, qu’on y représenta avec piété : il en devint le scandale. […] « C’est par là que Molière illustrant ses écrits, Peut-être de son art eût emporté le prix ; Si moins ami du peuple en ses doctes peintures, Il n’eût point fait souvent grimacer les figures, Quitté pour le bouffon l’agréable et le fin, Et sans honte à Térence allié Tabarin. » M’écouterait-on, si je représentais que l’esprit d’irréligion, si funeste à tout le monde, et si commun au théâtre, se répand plus facilement dans le peuple, moins en garde contre la séduction, moins en état d’en repousser les traits et d’en démêler les pièges, lui dont la piété moins éclairée et plus simple confond aisément les objets, tient beaucoup plus à l’extérieur, et par conséquent peut être ébranlée à la moindre secousse, surtout quand on lui arraché les appuis nécessaires de l’instruction et des exercices de religion, en substituant le spectacle aux offices, et lui faisant oublier dans ses bouffonneries le peu qu’il sait de catéchisme, qu’on l’éblouit par le faste du spectacle, qu’on l’amollit par les attraits des Actrices, qu’on le dissipe par la science du langage ?
Cette alliance, ce mêlange de ce qui regarde les Pièces du nouveau genre, & de ce qui concerne les divers Poèmes représentés au Théâtre, qu’on m’a déjà reproché, est directement ce qui donnera quelque mérite à mon Ouvrage.
Le zèle représenté par Hercule, fait le premier trait du caractère : mais il fallait, mes Pères, que vous en fussiez bien transportés vous-mêmes pour nous faire une si étrange peinture de la Ville ou du Diocèse d’Aix, en y faisant régner l’erreur, la violence, la discorde, l’impiété, la dissimulation, la calomnie, afin de donner matière à votre Hercule d’exercer son zèle et d’employer sa massue à chasser ces vices ou à les terrasser.
Les chants sacrés ne doivent point représenter le tumulte des passions, mais seulement la majesté de celui à qui ils s’adressent, et l’égalité d’âme de ceux qui les prononcent.
L’homme est entièrement perverti depuis le péché, les mauvais exemples lui plaisent plus que les bons, parce qu’ils sont plus conformes à son humeur ; quand on lui représente sur le Théâtre le Vice avec ses laideurs et la Vertu avec ses beautés, il a bien plus d’inclination pour celui-là que pour celle-ci : Et comme les Poètes ne sont pas exempts de ce désordre qui n’épargne aucune personne, ils expriment beaucoup mieux les passions violentes que les modérées, les injustes que les raisonnables, et les criminelles que les innocentes : Si bien que contre leur intention même ils favorisent le péché qu’ils veulent détruire, et ils lui prêtent des armes pour combattre la Vertu qu’ils veulent défendre.
C’est une des folies de la scénomanie de s’imaginer que le théâtre enseigne tout, qu’il décide tout, qu’il est tout, que comme les héros y jouent toute sorte de rôles, ils y deviennent orateurs, philosophes, jurisconsultes, savants, gens d’esprit, et ont toutes les qualités des grands hommes qu’ils représentent. […] Impie : elle représente les dieux injustes, pour avoir vu avec complaisance les succès de César, elle met l’homme de pair avec eux, et au-dessus d’eux, en justifiant Pompée, qu’ils abandonnent par le jugement de Caton, qui lui demeure attaché, suffrage qui vaut bien le leur. […] Dieu seul est grand, rien n’est sublime que ce qui le représente. […] Je m’étonne qu’on ose représenter ces pièces.
Il ne ressemble en rien à la Pastorale, quoique son intrigue soit ordinairement champêtre ; elle ne nous peint que les amours des Bergers, au lieu qu’il nous représente tout à la fois les mœurs naïves des gens de la campagne & les actions du menu Peuple de nos Villes.
Pour donner une idée de ces immoralités, nous allons citer un passage du désespoir de saint Joseph, que les acteurs religieux de ce siècle représentaient comme un martyr de la jalousie que lui causait la grossesse de son épouse : « Elle a été trois mois entiers Hors d’ici, et au bout du tiers Je l’ai toute grosse reçue : L’aurait quelque paillard déçue, Ou de fait voulu efforcer ?
Je fis il y a dix ou douze ans un écrit Latin sur la Comédie, où sans avoir mûrement examiné la matière, et par une légèreté de Jeunesse, je prenais le parti de la justifier, de la manière que je me figurais qu’elle se représentait à Paris, n’en ayant jamais vu aucune, et m’en faisant, sur les rapports que j’en avais ouï, une idée trop favorable, et je ne puis que je ne reconnaisse à ma confusion, que les principes et les preuves qui se trouvent dans la Lettre qui s’est donnée au public sans ma participation, sont les mêmes que dans mon écrit particulier, quoi qu’il y ait quelques endroits de différents entre les deux, où l’Auteur de la Lettre dit ce que je ne dis pas, et parle autrement que je ne fais moi-même dans mon écrit, comme en ce qu’il apporte sans raison en faveur de la Comédie, votre silence sur sa représentation, Monseigneur, pour en inférer un consentement et une approbation tacite de votre part, ce que je n’ai point fait dans mon écrit, où je ne dis rien du tout qui puisse regarder personnellement V.
Les Théâtres, depuis ceux du premier ordre jusqu’aux tréteaux de la foire, (C’est ainsi que s’appelaient, il y a quarante ans, les entreprises Nicolet, Audinot et Sallé, privilégiésb, obligés d’avoir spectacle aux enclos, connus sous les noms d’Abbaye Saint-Germain, des Foires Saint-Laurent et Saint-Ovide.) ne sauraient être trop censurés, tant les actions dramatiques, qu’on y représente chaque jour, ont d’influence sur toutes les classes et particulièrement sur la plus nombreuse, qui vient y chercher le délassement de ses travaux, plaisir toujours moins coûteux que ces orgies, qui laissent après elles des suites fâcheuses, mais qui n’est pas non plus sans danger pour tous les âges, et surtout pour les esprits faciles à s’ouvrir aux pernicieuses impressions d’une morale, parfois voisine de la dépravation. […] Le garçon vînt servir, mon séducteur, que je prie mes lecteurs de ne point confondre avec celui du marquis de Bièvre, sortit de sa poche le Miroir du jour ; la belle y jeta l’œil et se prononça pour Manon Lescaut 49, qu’on représentait le soir à la Gaîté et pour laquelle elle avait une affection particulière. […] Mais pourquoi cette gêne dans les personnages d’une action représentée sur cette scène ?
Vous avez compris qu’il y auroit de l’indécence à obliger une jeune Personne, à révéler, à une Assemblée respectable, des secrets qu’elle rougit de s’avouer à elle même ; mais auriez-vous oublié cette maxime d’un Ancien, que les choses honteuses à faire ne sont jamais bonnes à dire, encore moins à représenter ? […] Longin, dans son Traité du Sublime, exhorte les Ecrivains, qui tendent au grand, à se mettre au-dessus des idées de leur siecle, & à se représenter le jugement que la postérité la plus éloignée portera de leurs Ecrits.
D’où vient en fait-on représenter aux jeunes gens dans plusieurs collèges ? […] C’est qu’il ne se représente que de bas & de pitoyables farceurs de parades.
Le systeme de la législation est une comédie sérieuse, où il établit à perpétuité, le revêtant de l’autorité royale ce que la scene représente en badinant revêtu des attaits séduisans du jeu & de la figure des Actrices. […] Paul appelle un grand Sacrement : Sacramentum hoc magnum est ; ou si l’on veut, un grand mysiere, une action sainte qui représente les plus grands mysteres.
Celui qui représente est moins criminel que celui qui l’engage à représenter par son assiduité, ses applaudissemens, ses ris ; c’est favoriser, c’est achalander la boutique du Diable, foventes eas Diaboli officinas, sur-tout dans la profanation de la sainteté du mariage, qu’on y méprise & qu’on y décrie.
J’apprenais de toutes parts qu’il y avait jeté quantité d’idées neuves et vigoureuses sur le danger des Spectacles, tels même qu’on les représente parmi nous, et usé de ces coups de force qui surprennent, réveillent, et donnent enfin ouverture à d’utiles réflexions. […] Et dans le fait5, Saint Charlesa ayant obtenu du Gouvernement qu’on ne représentât que des Pièces qu’il eût approuvées, il n’en fallut pas davantage pour forcer les Comédiens, effrayés des conséquences de cette loi, à renoncer à tout établissement dans son Diocèse.
Bientôt cette Nation, capable de tout, vit des Pélerins chanter & représenter les actions des Saints, les Mystères de la Religion ; les plus grands Personnages de l’Ancien & du Nouveau Testament, Jesus-Christ même, furent mis sur la Scène.
Faut-il encore s’étonner si les anciens, & même ceux des modernes, qui ne se sont proposés que d’émouvoir les grandes passions, ayant eu à représenter le renversement des Etats, des conquerants ou des défenseurs de la Patrie, ont donné des caractères tout-à-fait vrais, dit encore le Pere Brumoy ?
Le théatre n’a point fait les dieux, il est vrai ; mais il les a célébrés ; il étoit une partie de leur culte ; il a enseigné, il a représenté leurs actions ou plutôt leurs crimes ; il a été comme la chaire où on a prêché leur doctrine ; il leur a donné des habits, & comme fait leur toilette ; il a formé leur cortége & leur pompe, & prononcé leurs oracles ; il a donné des pampres & le thyrse à Sylene & Bacchus, sur les treteaux de Thespis, qui couroit les champs couvert de pampres & barbouillé de lie ; il a donné la licence à Venus, à l’Amour, la nudité aux Graces, la fraicheur à Hébé, des plumes de paon à Junon ; sa décoration est devenue celle des temples, & la parure des actrices leur plus bel ornement.