Que tout concoure à tromper les esprits : la représentation d’un Drame est, pour ainsi dire, un songe qui doit redouter le moment du réveil.
Il n’a trouvé de crédit que parmi les beurrières pour peser leur marchandise, et le libraire qui l’a imprimé s’est trompé, en ce qu’il l’a plutôt pris au poids de la main qu’au jugement.
Elle se trompait, la gravité philosophique de ce Prince, dont toute la vie fut une comédie perpétuelle, ne pouvait s’accommoder de la licence ; et sa dangereuse politique, qui pour mieux détruire le christianisme, affectait d’en surpasser la pureté dans le culte des faux Dieux, enchérit sur ses prédécesseurs, et de son temps le théâtre fut plus réservé que jamais.
Nous pensons qu’il se trompe.
Cette mince brochure, écrite d’un ton hardi & ferme, qu’à peine oseroit prendre un homme en place habile Théologien, ne mériteroit que le mépris, si, comme disoit Bossuet dans une pareille occasion, il étoit permis de mépriser le péril des ames infirmes ou mondaines, toujours aisées à tromper sur ce qui les flatte.
Nous permet-il du moins de nous croire leurs égaux, & pouvons nous dire sans nous tromper, comme Crescembeni quand il parle des Tragédies Italiennes, nous marchons de pair avec les Grecs ?
Ce serait vous tromper, et nous perdre nous-mêmes.
» Ce sont les termes de ce Concile ; et il n’y a pas lieu de s’étonner de cette ancienne sévérité de l’Eglise à l’égard des Comédiens, et de ceux qui assistaient, ou qui participaient à leurs spectacles ; puisque les Païens mêmes, comme Sénèque, ont regardé les Comédies, comme la chose la plus contraire aux bonnes mœurs : « Nihil tam moribus alienum, dit ce Philosophe, quam in spectaculo detineri » ; et qu’il y eut même quelques Empereurs, du nombre desquels est Domitien, qui chassèrent de Rome tous les Comédiens, comme autant de gens, dont il regardait la profession, comme pernicieuse au bon Gouvernement de ses Etats : en quoi certainement il ne se trompait pas dans cette pensée.
Jean l'Evangéliste, lorsqu’il jouait avec sa perdrix, et qu’il lui faisait pratiquer toutes les gentillesses, dont ce petit oiseau est capable, qu’il lui faisait contrefaire l’aile rompue, comme il arrive, quand il veut tromper le chasseur, et le tirer à soi pour l'éloigner de sa chère couvée, qu’il le faisait rouler sur son dos, comme il le sait bien faire, quand il se veut rendre à son nid, et ne point laisser aucune trace sur la terre ou sur la neige, qui puisse découvrir au Veneur le lieu de sa petite retraite, qu’il l’obligeait à faire mille caracoles parmi l’air, et puis revenir sur son poing, qu’il ajustait ses plumes, qu’il lui passait la main sur le dos ; qu’il l'appelait pour venir manger dans le creux de sa main, qui eût dis-je interrogé ce grand Apôtre, pour savoir de lui quelle intention il avait en toutes ces caresses, il n’aurait point eu d’autre réponse, sinon qu’il préparait son esprit à quelque chose de meilleur, qu’il prenait des forces pour mieux vaquer à la prière, qu’il se divertissait pour être plus recueilli au temps de l’oraison, qu’il réparait les faiblesses de la nature pour la faire servir aux occupations de la grâce. […] Et néanmoins il faut donner cette gloire à la Musique, qu’elle a délivré du venin des couleurvres et des aspics, ou toute l’Histoire nous trompe ; si elle peut le plus, pourquoi ne pourra-t-elle pas le moins ? […] Une autre fois ils lui faisaient prendre la figure d’un Taureau blanc pour passer sur son dos la Princesse Europe, d’un bord de la rivière à l’autre : on portait au milieu de l’assemblée Mars et Venus engagés dans les fers et dans les secrets ressorts, que le Dieu Vulcain avait prépares pour les surprendre : On leur décernait autant de triomphes qu’ils avaient trompé de filles. […] Qui ne veut point être trompé à semblables livres, il n’en doit voir ni le caractère ni la couverture ; car tout y est contagieux, et personne ne touche sans danger la terre où le serpent à répandu son venin. […] Il est d’autant plus aisé de s’y tromper, qu’ils n’ont quasi qu’un même visage et une même livrée : Tous nous tient d’abord, et tous nous promettent une honnête relâche de notre esprit : mais qui n’y veut point être trompé, doit être plus en défiance de ceux qui lui font meilleur mine.
« Un homme sans passions ne saurait intéresser personne au théâtre, et l’on a déjà remarqué qu’un Stoïcien dans la Tragédie ferait un personnage insupportable dans la Comédie, et ferait rire tout au plus. »j On a très mal remarqué ; Glaucias dans Pyrrhus, Brutus, Alphonse dans Inès, Cicéron dans le Triumvirat, Zopire dans Mahomet k, et tant d’autres à citer sont des Stoïciens ou jamais il n’en fut, et l’histoire nous trompe ; dans les Comédies tous nos Aristes, un Théodon dans Mélanide, le Héros de La Gouvernante l, ces gens-là ressemblent assurément au portrait qu’on nous fait des Stoïciens toujours amis de l’humanité et préférant l’intérêt de la vérité, de la raison, de la justice et de l’amitié, à leur intérêt propre. […] Je me trompe fort si vous n’avez imaginé un très beau dénouement pour quelque Tragédie ou Comédie dans laquelle le point d’honneur mal entendu serait l’objet de la critique.
La source de la damnation, dit Tertullien en parlant des Comédiens, est le mauvais usage de sa condition ; et au pis aller on pourrait ce semble les réduire à en juger de même que d’un valet dont le maître prête quelquefois à usure, ou d’un Marchand qui vend des cartes à des personnes qu’on soupçonne tromper quelquefois au jeu. […] C’est à quoi l’on a pu se tromper, quand on a dit dans l’exposé, que les Auteurs Ecclésiastiques des premiers siècles de l’Eglise, comme Salvien et Lactance, n’ont condamné les spectacles que par des raisons particulières qui ne se rencontrent pas dans ceux de ce siècle : on a apporté ci-devant l’autorité de Salvien. […] » Enfin ceux qui prétendent qu’en allant à la Comédie, elle ne leur fait aucune impression, ce que Saint Chrysostome ne croit pas, ils doivent bien prendre garde de se tromper : « Que les curieux, dit Saint Jean Chrysostome Idem in Ps.
On se trompe : le premier, il est vrai, placé au centre de la table, étoit le Palais de la Justice, les autres n’étoient pas tout-à-fait des vertus.
On se trompe : ils tombent sur une infinité de gens, auxquels chacun des spectateurs en fait l’application.
Tout cela ne caractérise point l’hypocrisie de la dévotion : combien de flatteurs, de gens d’intrigue, de frippons de toute espèce, qui sans être dévots, ni s’en dire, mais plûtôt en affectant l’irréligion & le libettinage, & flattant des passions honteuses, non seulement acceptent ce que peu de gens refuseroient, mais extorquent, par toute sorte de voies, des mariages, des donations, des successions, volent même ceux qu’ils ont trompés !
Si la Pièce est sage, instructive, comme le Misanthrope, le Menteur &c. en elle-même, elle doit corriger, épurer les mœurs : Si l’Acteur, si l’Actrice ont un autre but que de seconder le but du Drame ; si l’envie de plaire, de séduire leur fait chercher à réveiller dans les sens une volupté dangereuse ; si leur conduite expose à la dérision les maximes que le Poète met dans leur bouche, c’est alors l’Histrionisme qui devient contraire aux mœurs ; c’est lui qui ne peut manquer de vicier & d’anéantir l’effet naturel qui devait suivre le Drame ; non que ce soit un inconvénient réel, que la plupart des Spectateurs se trouvent attirés aux représentations dramatiques par le plaisir que donne le jeu de tel Acteur ou de telle Actrice ; cet attrait non-seulement augmente leur nombre, mais contribue infiniment à leur faire goûter la morale & les leçons : cependant s’il est nécessaire que l’attente ne soit pas trompée, & qu’on trouve ce genre de plaisir à nos Théâtres, il est clair en même-temps qu’une Pièce est bien imparfaite, & loin du but où doit tendre la bonne Comédie, lorsque son Auteur, sacrifiant le principal à l’accessoire, n’a cherché qu’à donner le plaisir résultant de la Représentation : la Pièce est dangereuse, lorsqu’elle nous divertit par des scélératesses* dans le Drame ; elle est inadmissible, lorsqu’elle ne plaît que par la volupté qu’y réveillent à chaque mot les mines provoquantes de l’Actrice, ou le jeu libre & sémillant de l’Acteur.
On peut le soûtenir de bouche, & par là imposer aux Confesseurs ; mais ils ne tromperont pas celui, qui decouvrira un jour les sentimens les plus cachés.
L’on debitera les maximes des impies, l’on inspirera le mépris de Dieu, & de toutes ses loix, l’on enseignera à l’impudicité, à la vengeance des moyens pour se satisfaire sans bruit, des adresses pour tromper un mary, pour débaucher une femme, pour se défaire d’un ennemy ; & un Magistrat s’estimera aussi innocent, qu’il est en effet insensible, & il negligera de remedier à des déreglemens qui ne peuvent estre arrestez que par une autorité qu’il a receuë de Dieu en partie pour y mettre ordre ? […] S’ils doutoient de la santé d’un voyageur dans un temps de contagion, ils seroient obligez de le faire retenir jusqu’à une entiere assurance qu’on peut le laisser entrer dans le Royaume ou dans une Ville sans danger ; ils sont obligez de faire jurer, ou signer les personnes mesmes les moins suspectes pour soûlager les particuliers de l’apprehension & du danger d’estre trompez.
L’Ambassadeur fut reçu avec plaisir, mais il fut trompé, comme l’avoit été celui d’Espagne. […] On le trompa.
Serons-nous obligés de dire que ce qu’il y a eu d’habiles Théologiens, plus recommandables encore par la sainteté de leurs mœurs que par l’éclat de leur science, ou se soient trompés eux-mêmes, ou ayant eu le dessein de nous tromper ?
Mais lorsqu’il s’agit de se former une idée des véritables inconvéniens des Spectacles, si l’on ne fait que consulter les Livres, on s’expose à se tromper, en copiant ce que le préjugé, un faux zèle, ou l’intérêt ont fait avancer de tout temps aux Misomimes* ; gens dont on peut dire que les griefs n’ont été jamais accompagnés de cette justice qui pouvait y donner du poids.