Mais malheureusement les ames des trois quarts & demi des Acteurs & des spectateurs sont toutes épicuriennes. […] Les Comédiens avant de recevoir la piece, les spectateurs dans le temps de la représentation, les cotteries, les caffés, les soupers, les écrits après qu’elle a été représentée, tout le monde quand elle est imprimée, c’est l’histoire de tous les jours. […] L’expression, dit-il, est l’adresse (ce terme n’est pas juste) avec laquelle on fait sentir au spectateur les mouvemens dont on paroît pénétré ; mais si on a le malheur de ressentir véritablement ce qu’on veut exprimer, on est hors d’état de jouer.
Le théâtre, comme tout le reste, doit sans doute, selon le génie des nations ou des siècles, le goût de la Cour ou de la ville, la diversité des modes, la variété des circonstances, le caractère des Auteurs, prendre des tons différents de modération ou de débauche, de différentes nuances de décence ou d’effronterie ; mais ce n’est que changer d’habit, le fond est toujours le même, c’est toujours une troupe de gens sans religion et sans mœurs, qui ne vit que des passions, des faiblesses, de l’oisiveté du public, qu’il entretient par des représentations le plus souvent licencieuses, toujours passionnées, et par conséquent toujours criminelles et dangereuses, et qui enseigne et facilite le vice, le rend agréable, en fournit l’objet, et y fait tomber la plupart des spectateurs. […] Il n’en est pas de même du reste des spectateurs, il est impossible qu’il n’y en ait de sensibles à ces paroles pleines d’une morale qui fait consister le bonheur dans le plaisir, car mettez à l’alambic tous les opéra, vous n’en tirerez jamais que cette maxime retournée en mille façons. […] Voici la traduction de son passage, faite en 1612 par le Docteur Bellier : « Pour quelle autre raison pensons-nous que les théâtres qui sont par toute la terre, soient remplis tous les jours d’un nombre infini de spectateurs, car ceux qui sont alléchés et amadoués de contes, et ayant laissé à l’abandon leurs yeux et leurs oreilles, s’adonnent et affectionnent à des joueurs de luth, à toute sorte de musique lâche et efféminée (« Lactatoribus et Mimis inhiant propter gestus, motus ac status effeminatos ») : « Recevant chez eux des danseurs et joueurs, à cause qu’ils représentent des mouvements et contenances sensuelles.
Il nous est défendu d'être spectateurs des duels, de peur que nous ne devenions complices des meurtres qui s'y font: Nous n'osons pas assister aux autres Spectacles, de peur que nos yeux n'en soient souillés, et que nos oreilles ne soient remplies de vers profanes qu'on y récite; comme lors qu'on décrit les crimes, et les actions tragiques de Thyeste, et qu'on représente Terrée mangeant ses propres enfants; et il ne nous est pas permis d'entendre raconter les adultères des Dieux, et des hommes, que les Comédiens attirés par l'espoir du gain, célèbrent avec le plus d'agrément qu'il leur est possible: Mais Dieu nous garde, nous qui sommes Chrétiens, dans qui la modestie, la tempérance, et la continence doivent reluire, qui regardons comme seul légitime le Mariage avec une seule femme, nous chez qui la chasteté est honorée, qui fuyons l'injustice, qui bannissons le péché, qui exerçons la justice, dans qui la Loi de Dieu règne, qui pratiquons la véritable Religion, que la vérité gouverne, que la grâce garde, que la paix protégé, que la parole divine conduit, que la sagesse enseigne, que Jésus-Christ qui est la véritable vie régit, et que Dieu seul règle par l'empire qu'il a sur nous: Dieu nous garde, dis-je, de penser à de tels crimes, bien loin de les commettre. […] Il est vrai que nous ne trouvons pas dans la sainte Ecriture cette défense en termes exprès: vous n'irez point au Cirque, vous n'assisterez point aux Comédies, vous ne serez point spectateurs des combats des Athlètes, ou des Gladiateurs: comme il est dit en termes formels.
Quand les Comédiens n’oublient rien pour émouvoir les Spectateurs, et les faire entrer dans le sentiment des passions qu’ils représentent ? […] Car les Spectateurs veulent ressentir de la douleur, et cette douleur est leur joie ? […] Je ne profite point de ce bel endroit de saint Chrysostome, lorsqu’il invective contre les Spectacles où l’on voyait des filles nues se baigner dans une Mer creusée à cet effet ; en disant, que jamais la mer rouge ne fit mourir tant d’Égyptiens que cette Mer faisait mourir de Spectateurs. […] Secondement, parce que dans la Comédie, il y a du côté des Spectateurs des ris et une joie immodérée, le Spectacle n’étant jamais bien reçu si l’on n’en est que médiocrement réjoui. […] Le Spectateur déja attendri par les disgrâces des Amants, goûte avec plaisir l’espérance qu’il met dans ce Dieu, lequel enfin attiré par une Musique qui sent d’abord extrêmement la Guerre, mais qui dans la suite changeant et allongeant ses tons, devient toute semblable à celle que l’on entend dans les Églises Cathedrales quand on lève la redoutable Hostie.
Ils feront voir que les spectateurs ne s’y intéressent qu’autant qu’ils ressentent & qu’ils éprouvent en quelque sorte les passions criminelles qui leur sont représentées.
Le premier principe sur lequel agissent les Poètes tragiques et comiques, c’est qu’il faut intéresser le spectateur, et si l’auteur ou l’acteur d’une tragédie ne le sait pas émouvoir et le transporter de la passion qu’il veut exprimer, où tombe-t-il, si ce n’est dans le froid, dans l’ennuyeux, dans le ridicule, selon les règles des maîtres de l’art ?
Y a-t-il une Ecole d'athéisme plus ouverte que le Festin de Pierre, où après avoir fait dire toutes les impiétés les plus horribles à un athée, qui a beaucoup d'esprit, l'Auteur confie la cause de Dieu à un valet, à qui il fait dire, pour la soutenir, toutes les impertinences du monde ; Et il prétend justifier à la fin sa Comédie si pleine de blasphèmes, à la faveur d'une fusée, qu'il fait le ministre ridicule de la vengeance divine; même pour mieux accompagner la forte impression d'horreur qu'un foudroiement si fidèlement représenté doit faire dans les esprits des spectateurs, il fait dire en même temps au valet toutes les sottises imaginables sur cette aventure.
D’abord si l’on observe sans prévention le moyen dont l’auteur se sert pour réprimer l’avarice et l’usure, on voit avec peine qu’il met en spectacle, devant les enfants comme devant leurs parents, le fils d’un avare qui manque de respect à son père, qui l’insulte cent fois, tâche de lui attirer le mépris et la risée publique, le vole, le goguenarde et se rit de sa malédiction, de manière à mériter l’approbation des spectateurs ; on voit que la fille même manque à son père et s’en moque avec autant de succès dans cette pièce. Que doit-il résulter de ce scandale inouï pour les jeunes spectateurs, ou pour les enfants qui, d’instinct, d’après le mouvement de leur cœur, et d’après leur éducation, doivent regarder comme de droit naturel le devoir d’aimer leurs parents, et le précepte de les respecter comme indispensable, absolu et tel que leur propre intérêt et la honte d’y manquer devraient du moins empêcher des enfants d’aller jusqu’à outrager ainsi l’auteur de leurs jours ? […] Quant à celle-ci, où l’on voit une épouse prêter l’oreille aux fleurettes d’un amant, en recevoir des lettres, lui répondre, lui donner un rendez-vous nocturne, chercher à déshonorer son mari, dont elle raconte les ridicules à un séducteur à qui elle fait un signe de pitié au moment où on lui rappelle le respect qu’elle doit aux nœuds sacrés du mariage ; et tout cela se faisant de manière à divertir, à être approuvé des spectateurs, à faire applaudir l’infidélité, les détours, les mensonges, l’impudence ; quant à ce spectacle, dis-je, il n’y en a pas de plus dangereux pour les femmes de tous les rangs et de tous les ordres ; parce qu’en voyant applaudir une femme noble de mépriser ainsi les devoirs du mariage, de fouler aux pieds le précepte de la foi conjugale, en un mot de se jouer de son mari, sous prétexte qu’il est paysan, il n’est pas douteux que les femmes roturières n’aient la noblesse de penser qu’il doit leur être permis d’en agir de même envers leurs maris, quand ils sont lourdauds, malotrus ou bêtes, etc. […] Rousseau, pour prouver que Molière n’a pas voulu en faire un homme vertueux, l’effet de cette comédie a dû être pour les trois quarts et demi des spectateurs le même que si cet auteur célèbre avait eu réellement l’intention de se moquer d’un homme vertueux.
Son habileté dans la perspective tournera au plaisir du spectateur & au profit de l’entrepreneur. […] Le Nouveau Spectateur, parlant du plaisir de la Danse & des mauvais effess qu’elle produit remarque d’après Juvenal, que Batille représentant l’amour de Leda, inspiroit aux dames romaines tant de volupté, qu’elle passoit les bornes de la bienséance. […] d’Euripide & de Sophocle, où le parterre fondoit en larmes, où les femmes accouchoient dans les loges, où les spectateurs furieux se dépouilloient de leurs habits, prenoient les armes, en venoient aux mains, & s’égorgeoient. […] On a toujours reproché à la Comédie Françoise un caractere, un goût efféminé qui en fait le fruit & l’école du libertinage ; de-là cette fureur de mettre par-tout l’amour, d’adorer par-tout les femmes, de ne penser, chanter, danser, peindre que galanteries ; de-là l’esprit général des acteurs, spectateurs, amateurs, auteurs, qui n’est pêtri que de débauches, l’empire des actrices, la vogue des parures toutes les plus indécentes, l’imitation des femmes qui semble avoir changé les sexes, ou plutôt ne faire qu’un même sexe des hommes & des femmes.
L’Enceinte des Théâtres était circulaire : c’était le département des Spectateurs. […] Car il en bannit un de Rome et de toute l’Italie pour avoir osé montrer au doigt un des spectateurs qui le sifflait70. […] Tous les Spectateurs saisis de fureur montèrent sur le Théâtre, et ayant pris Gélasin ils le lapidèrent. […] On ne sait que trop que ces lieux de spectacles sont les écoles du Démon, où il n’a pas moins de Sectateurs que de Spectateurs. […] Est-il quelqu’un des Spectateurs, qui ne revienne avec un cœur moins chaste de ces spectacles, où les expressions, les gestes, les tours, les fictions, les intrigues, tout porte au faux amour.
Quand on voudra faire l’apologie de la décence du théatre, ce n’est pas apparemment le théatre Italien, celui de la foire, l’opéra comique, les spectacles des boulevards, les parades de Vadé, &c. qu’on citera pour modèles, ni ce nombre infini de spectateurs qui s’en amusent, qu’on donnera pour témoins irréprochables, sur-tout par leurs bonnes mœurs. […] Par-tout même indécence, passions de toute espèce, galanterie voilée, équivoques dans les discours, juremens, nudités, fard, masque, mélange des sexes, caractere des spectateurs, même danger pour la vertu, même anathème de l’Église. […] point d’Actrice, point de spectatrice, point de coulisses, de foyers, de loges !
comment dans le Silphe cette métamorphose enchante-t-elle subitement un spectateur qui n’est pas imbécille, une fille bien élevée, & même philosophe ? […] Ces statues de décoration qui s’animent, ce Silphe amoureux devenu fille de chambre, cette fille assez imbécille pour ne pas le deviner à son masque, à sa voix, à ses manieres, & l’attribuer à un corps aërien, cet amant statue qui s’émancipe aux pieds de sa maîtresse, & n’est repoussé que par grimace pour irriter ses désirs, ces services d’une femme de chambre amant, les libertés & désordres d’une femme qui se fait habiller & déshabiller par son amant travesti, &c. tout cela est sans doute sans vrai-semblance ; mais ce qui est bien plus condamnable, tout cela est sans décence & du plus pressant danger ; c’est le jeu d’une imagination libertine qui s’applique en détail & tient les heures entieres le spectateur appliqué à tout ce qu’il y a de plus séduisant. […] Mais ce qui fait peur à un enfant de quatre ans, fait rire des filles de dix-huit, & fait pitié au spectateur.
Tout est mauvais, tout est dangereux dans la Comédie pour les Spectateurs ; c’est la conséquence que vous tirez d’un principe aussi peu admissible qu’elle. […] L’intention de Molière n’est pas moins pure dans George Dandin que dans Le Bourgeois Gentilhomme, et pour en convaincre le Spectateur, il la lui expose dès les premiers mots de la pièce ; les voici : c’est George Dandin qui parle. […] , p. 49 : « Tout en est mauvais et pernicieux, tout tire à conséquence pour les Spectateurs ; et le plaisir même du comique étant fondé sur un vice du cœur humain, c’est une suite de ce principe que plus la Comédie est agréable et parfaite, plus son effet est funeste aux mœurs […] » cl.
Ils connaissaient le théâtre Grec et Romain, ils connaissent le nôtre, et sont à portée de l’imiter ; vit-on jamais de Juif, ni auteur, ni acteur, ni spectateur ? […] Dieu ne se communique qu’aux âmes simples qui l’adorent en esprit et en vérité, l’homme animal n’y saurait rien comprendre : « Animalis homo non percipit ea quæ Dei sunt. » Les spectateurs méritent-ils mieux de voir ouvrir les sceaux de ce livre adorable ? […] Mais ce serait trop d’indulgence ; dans ces pièces, comme dans les autres, l’auteur, l’acteur et le spectateur ne cherchent qu’à s’amuser, sans penser à Dieu, et un grand nombre des uns et des autres, par des intentions plus criminelles, y cherchent même à abuser de la religion, et à la rendre méprisable.
& une poignée de spectateurs la France entiere ! […] Est-ce vingt Comédiens qui se succèdent (quatre ou cinq cens spectateurs qui vont & viennent), ou bien plutôt Tartuffe, Cinna, Phedre, Rhadamiste, le Joueur, le Glorieux, Mahomet, la Métromanie ? […] Castillon dans son Spectateur François, & dans son Journal, Mai 1775. […] Ces arts séducteurs ne peuvent manquer de corrompre le spectateur, nous l’avons souvent dit. […] Appréhenderons-nous un peuple spectateur, Qui chérit un soldat moins qu’un gladiateur ?
Je n’en sçais rien ; mais l’Actrice ne réussit que trop à le faire passer dans tous ses Spectateurs : les acclamations & les applaudissemens qui l’interrompent, lui sont garands de son succès : Severe ne réussiroit pas mieux, quand il nous diroit encore. […] ) un pas, une œillade de chacune de ses infames complices, porte une étincelle seule capable d’allumer deux mille torches ardentes de la passion aveugle pour le malheur de tous ses Spectateurs : Qui pourra donc calculer le nombre de ses forfaits ? […] Acteurs & Spectateurs, à la fin du spectacle le plus bruyant, nous rentrons dans un vuide affreux ; & toutes nos ames naturellement Chrétiennes, sont forcées de dire avec S. […] Que faut-il enfin pour qu’Auteurs, Acteurs & Spectateurs nous cessions d’être les victimes infortunées d’un gout si universellement désavoué par nous tous ? […] Alors, alors, chers Concitoyens, sans cesser d’être Auteurs ou Lecteurs, Acteurs ou Spectateurs, puissions-nous (p. 7.)
La magnificence du spectacle, la parure des femmes qui s’y trouvent, la parure des comédiennes, la peinture vive des passions qu’on y représente, nommément celle de l’amour, qui règne dans toutes les pièces, sont autant d’objets dangereux qui laissent dans l’esprit et dans le cœur des spectateurs des sentiments de volupté et des impressions qui les disposent peu à peu d’abord au relâchement, ensuite au libertinage.
Il forme un esprit faux dans les lecteurs, comme le théatre dans les spectateurs ; il leur apprend à mentir, & les accoûtume à se payer de mensonges, c’est-à-dire, les rend imposteurs & duppes. […] Croiroit-on que ce faux du théatre, ainsi que des romans, nuit infiniment à l’histoire, soit dans le style des Historiens qui l’ont pris, soit dans la crédulité des lecteurs ou des spectateurs qui les apprennent ?
Voici les termes de ce Poète élégant & judicieux ; « Une Comédie où l’on rencontre des sentimens & des mœurs, quoi qu’elle soit sans grace, sans force & sans art, plait quelques fois d’avantage au Spectateur, & l’attache plus fortement que ces Vers magnifiques & harmonieux qui ne signifient rien5. » Je terminerai cet article par une remarque du Père Brumoy ; il semble conseiller aux Auteurs Dramatiques de ne se point donner la peine de bien écrire leurs Poèmes, parce que le Sublime du stile n’est jamais saisi aux représentations. […] Pourquoi voudrait-on plaire au Spectateur de sang froid ?
Elle fait encore un effet plus malin sur le cœur que sur l’esprit, car si elle gâte ce dernier, elle corrompt l’autre en y excitant les passions et les remuant avec d’autant plus de promptitude et de vivacité, qu’elle y trouve de correspondance, c’est là son but et sa fin principale, c’est ce qui lui attire les applaudissements des spectateurs, la plupart acteurs secrets dans la pièce ; autrement ils s’ennuient, ils languissent, ils s’endorment, et comme dans la lecture ou le chant des Psaumes, on entre dans tous les mouvements et les saintes passions du chantre sacré, qu’on prie avec lui, qu’on gémit, qu’on se réjouit, qu’on passe de l’espérance à la crainte, de la tristesse à la joie, des plaintes aux remerciements, de la frayeur à l’assurance, du trouble à la paix, ici on entre encore plus naturellement dans les divers mouvements des acteurs introduits sur la Scène, le lecteur ou le spectateur est transporté hors de lui-même, tantôt il se sent le cœur plein d’un feu martial, et s’imagine combattre, tantôt agité de mouvements plus doux, il est amoureux, il estime, il craint, il désire, il n’y a point de passion dont il ne sente les atteintes et les émotions.