Un Législateur de ce caractère est-il partisan de la comédie ?
On voit assez où la peinture de ce caractère nous mènerait aussi ; on voit de quelle autre fermentation des esprits et des passions le ridicule qu’on en tirerait serait la cause, et quelles en seraient les fâcheuses conséquences, surtout en temps de guerre ! […] En présence d’institutions de toute espèce et pour tout besoin, organisées avec un soin scrupuleux, suivant toutes les règles de la prudence, dont les maîtres et sous-maîtres sont choisis par des supérieurs qui ont passé par tous les grades, subi eux-mêmes toutes les épreuves, les concours, les examens sévères sur les études et la capacité, sur les principes et la moralité, épreuves qu’ils font subir aux aspirants avant de leur accorder le droit d’instruire et former les autres, droit qui encore n’est que la faculté de transmettre avec une autorité respectable à leurs élèves ou disciples soumis, obligés de les écouter, des préceptes ou des leçons dès long-temps préparées et approuvées, déclarées classiques, après avoir été épurées au creuset de la sagesse et de l’expérience ; en présence de semblables institutions, dis-je, et de tels instituteurs, je vois une confusion de professeurs, auteurs, acteurs et actrices, ou maîtres et maîtresses, d’une institution différente, isolés, éparpillés, aventuriers, errants, sans unité, obscurs ou distingués, estimables ou méprisables, licencieux, effrénés, etc., qui ont la plus grande influence sur les mœurs qu’ils font métier de corriger, sans être obligés de prouver qu’ils en ont, et trop souvent sans en avoir ; qui sont sans mission régulière, sans titre ou sans caractère (observez qu’il ne s’agit pas ici d’écrivains qui publient simplement leurs pensées, mais d’instituteurs qui ont des écoles ouvertes dans toute l’Europe, qui appliquent leurs soins presque à tous les genres d’instruction, qui se chargent de l’éducation et de la réforme des deux sexes, des trois âges et de toutes les conditions) ; sans titre, dis-je, sans guide, sous le rapport essentiel, dont la dépendance immédiate est nulle dans l’intérêt des mœurs, qui n’ont que des chefs d’entreprise, ou spéculateurs, traitants, hommes ou femmes, pieux ou impies, croyants ou athées, édifiants ou scandaleux, à qui il suffit surtout d’avoir de l’argent et de l’industrie pour diriger une troupe de comédiens, ou maîtres de cette école, choisis comme eux ; qui, étrangers au grand corps constitué centre de l’instruction et de l’éducation publiques, et sans être astreints à aucune de ses plus importantes formes de garantie, jouissent également du droit d’instruire et de former ou réformer, en transmettant, non en maîtres, avec une autorité respectable, des préceptes ou leçons dès long-temps préparées et approuvées, mais en sujets tremblants, des leçons toutes nouvelles et hasardées pour la plupart ; non à des élèves soumis et obligés de les écouter, mais à des disciples-juges auxquels ils sont obligés, au contraire, de soumettre et préceptes et leçons, et leurs personnes mêmes, qui sont tous sifflés ou applaudis, rejetés ou admis, selon le goût et le bon plaisir des écoliers.
L’auteur des Lettres Persannes n’essuya aucune critique, celles de ce caractère ne seront pas aujourd’hui à craindre, l’Archevêque de N.… n’en fera pas. […] Ce Prince avoit pourtant promis à la Sorbonne, qu’il étoit allé voir par curiosité, de travailler à réunir son Clergé & son peuple à l’Eglise Latine ; on avoit eu la facilité de le croire, & de lui fournir des mémoires, & tous les efforts aboutirent à tourner en dérision le Pape & le sacré Collége, plus maussadement que les Anglois qui brûloient un Pape de paille ; & même sa propre Réligion Greque, en prophanant dans la Cathédrale de Moscou, le Sacrement de mariage que les Grecs reconnoissent, & le ministere d’un prêtre dont ils réverent le caractère, par des bouffonneries aussi plates qu’indécentes, plus digne d’un Tabarin, sur le Pont neuf, que d’un Empereur qu’on dit philosophe, & à qui cette conduite puérile & sacrilége, n’en assure que trop le titre.
Deux mots vraiment sublimes, qui présentent le plus beau caractère, & sont le plus bel éloge de ce Prince. […] Son caractère, ses exploits, sa réputation peuvent fournir de beaux vers, & quelques scénes brillantes ; mais ne forment ni intrigue, ni dénouement.
Le caveau, les croix, les têtes de mort, la cendre, dont on fait une décoration lugubre, sont moins nécessaires et moins dans le caractère d'une Communauté aussi sainte. […] Le funeste amusement que le théâtre, s'il entretient, s'il forme des caractères si difficiles !
Serait-ce bien connaître la jeunesse et sa fragilité, ces cœurs tous neufs et leur sensibilité, ces esprits naissants et leur vivacité, ces caractères peu solides et leur légèreté, cet amour du plaisir et sa violence, que d'abandonner des barques si faibles à une mer si orageuse ? […] Elle y est presque sans défense : un caractère léger, complaisant et facile, fait pour la dépendance, charmé de la flatterie, pétri de vanité, enivré de volupté, presque sans lumière et sans expérience.
La raison qu’il en donne carractérise le délire philosophique : dans tous les caractères qu’en général rien ne change, il y a une impulsion irrésistible dont on ne peut briser les ressorts, mais que l’on peut tourner & détourner par dégrès en la dirigeant vers un but. […] Et toutes ces belles expressions, son excès ne peut être qu’un exces d’amour, c’étoit l’essence de son caractère, toutes ses pensées étoient célestes, il porte trop loin le plaisir d’aimer Dieu, le frivole, le galimathias, qui regnent d’un bout à l’autre, donnent-ils une plus grande idée de son goût que de son équité & de sa sagesse ? […] Un mérite unique dans Moliere c’est de peindre, de contrefaire les hommes ; c’est le vrai mérite de sa comédie, fondé sur l’observation des caractères, comme la peinture & la sculpture sur l’imitation de la nature.
Non : c’est une occupation réelle, qui à la vérité, n’en a pas l’amertume, parce qu’elle plaît ; mais au fonds elle en a l’esprit & le caractère. […] Par-tout où il y a des hommes, ce doit toujours être un attrait pour lui : rien n’est capable de nous amuser d’une maniere aussi analogue à notre goût, à notre caractère, notre nature que la société : outre qu’on ne peut trouver son compte a s’en éloigner ; c’est qu’il est toujours à craindre que nos mœurs n’en souffrent. Le Commerce quoique plus naturel & au fonds plus légitime que le jeu & la lecture, n’en a pas plus le caractère exact d’un véritable amusement : car il est en reste ; ou il est exclusif : deux inconvéniens également dangéreux ; dans le premier cas le Commerce ne nous affecte point assez pour nous distraire ; dans le second il nous distrait jusqu’à la dissipation.
Corneille est républicain par caractère, il est partout monté sur ce ton, c’est là son sublime. […] Une femme furieuse trahit lâchement le secret de son amant, pour le perdre, et le Consul emploie bassement la coquetterie de sa propre fille, pour pénétrer Catilina, comme les Philistins se servirent de la Courtisane Dalila pour découvrir le secret de Samson : tant la corruption des Auteurs, des Acteurs, des spectateurs, impose la nécessité de mêler l’amour partout, fût-il le plus inutile, le plus faux dans le fait, le plus abominable dans ses intentions et ses démarches, opposé même au caractère des personnages. […] Ainsi, ce Tartuffe armé par le mépris de la religion, qu’on montre comme le mobile des plus grands crimes, et ses Ministres qu’on dit capables d’abuser de leur caractère, pour les faire commettre comme autant d’actes de vertu, sont le comble du scandale.
« Il ne faut pas s'imaginer que la défense que nous faisons aux Chrétiens aux Spectacles du Paganisme ne soit qu'une invention de la subtilité de l'esprit ; Faites seulement réflexion sur le Sacrement qui nous a donné ce caractère ; En le recevant nous avons renoncé au Diable et à ses pompes, et où sont-ils plus forts et plus considérables que dans l'Idolâtrie ?
Cette source empoisonnée a produit et reproduit sans cesse des troubles suscités par un fanatisme ambitieux, et des guerres de religion empreintes du caractère particulier d’une cruauté implacable et raffinée.
Ces drames historiques seroient plus faciles que les drames réguliers, où l’on doit former un plan, nouer une intrigue, lier & filer les scénes, ménager un dénouement, inventer, nuancer, soutenir, contracter des caractères que l’histoire leur donne, & les circonstances où elle les place, comme l’ont fait dans leurs dialogues des morts, Lucien, Fenelon, Fontenelle. […] La danse théatrale donne-t-elle l’air noble, aisé, modeste, qui compose le maintien d’un honnête homme ; pourquoi adopter à des jeunes gens des personnages & des caractères étrangers à leur état, & les dresser à des attitudes forcées : les maîtres de danses eux-mêmes, distinguent l’art qu’ils enseignent au théatre, de celui dont ils donnent des leçons en ville, comme deux genres tous différens ; pourquoi appliquer de jeunes gens à des exercices, pour qui il est rare qu’ils ne se passionnent, & qui sont si dangéreux ?
Voltaire est heureux qu’ils soient morts ;) tous deux ayant le même défaut, l’intempérance de l’imagination, & le romanesque incroyable ; Arioste a racheté ce défaut par des allégories si vraies, des satyres si fines, (c’est pour Voltaire un grand mérite) une connoissance si approfondie du cœur humain, par les graces du comique, & des beautés innombrables qu’il a trouvé le secret de faire un monstre admirable, (c’est à peu près le caractère des œuvres de Voltaire. […] On a encore des talismans & des caractères magiques de ce tems-là, & des médailles où Cathérine est soutenue entre des constellations & des diables, ayant en main & sur la tête des nombres & des instrumens magiques, & ce qui est presqu’inséparable, puisque l’un ne se fait que pour l’autre.
« Le vrai caractère des hommes, dit l’Abbé Prévost, est de rabaisser ce qu’ils admirent, & de chercher des déffauts dans ce qu’ils estiment. » Mais entrons dans un plus grand détail.
Baronius le fait venir d’un bourg de la Palestine, dépendant de Gaze, où il croit que ces jeux ont été institués, du mot Syriaque Majamas, qui signifie les eaux, parce qu’ils se célébraient au bord de la mer ou des rivières, ce qui les rendit si fameux à Antioche dans le faubourg de Daphné, où les eaux étaient abondantes, avec les débauches énormes que les délices du lieu, la superstition païenne, le caractère des habitants, ne pouvaient manquer de porter à l’excès.
Il prouve que celles de ce siècle sont de ce caractère, parce que les femmes s’y entretiennent d’amour avec les hommes, ce que les saints Pères ont fait voir être très mauvais et très dangereux ; et que plusieurs endroits des saints Pères sont autant les censures des Comédies de notre siècle, que de celles de leur temps.
A s’en tenir même à ses malins portraits, cet homme dont les comédies annoncent de l’aménité dans le caractère, semble dans cette histoire pétri de fiel, le répand à grands flots sur tout ce qu’il rencontre, & va même le chercher au loin sans nécessité. […] Un Marchand de ce caractère, s’il en existe, est indigne des sacremens, comme le Comédien.
Quel Poëte (fût-il Corneille), quel Orateur approche de l’élévation, du style, de la grandeur des pensées, de la sagesse des maximes, de la force des expressions, de la douceur, de l’insinuation, du naturel même & de la belle simplicité qui font le caractère du langage céleste de celui dont les levres font couler le lait & le miel !
Afin de donner le même caractère au visage de plusieurs Danseurs, on est contraint d’employer les masques ; la figure ingrate de quelques Elèves de Therpsicore, a fait imaginer aussi un pareil èxpédient. […] n’ont-ils pas aussi un caractère à èxprimer ?
Ecoutons encore Tertulien, Mademoiselle, c’est lui qui s’est chargé de répondre : quiconque jouit1 tranquillement du Spectacle, sans s’écarter en apparence des Loix de la modestie, étant retenu par son âge ou par sa dignité, ou par la sévérité de son caractère, n’est pas aussi insensible au fond de l’ame, qu’il veut bien le supposer ; courroit-il à l’Amphithéâtre avec tant d’empressement, s’il ne prenoit aucune satisfaction à voir ce qui s’y passe : ce plaisir suppose l’affection & le consentement de la volonté, le mal a des progrès successifs, le poison ne fait pas son effet sur le champ, mais peu-à-peu, c’est une sémence qui demeure quelque tems en terre, & qui produit à la fin des fruits de mort, ut fructificent morti 1.