Je laisse là ces Critiques qui trouvent à redire à sa voix et à ses gestes, et qui disent qu’il n’y a rien de naturel en lui, que ses postures sont contraintes, et qu’à force d’étudier ses grimaces, il fait toujours la même chose ; car il faut avoir plus d’indulgence pour des gens qui prennent peine à divertir le public, et c’est une espèce d’injustice d’exiger d’un homme plus qu’il ne peut, et de lui demander des agréments que la Nature ne lui a pas accordés : outre qu’il y a des choses qui ne veulent pas être vues souvent, et il est nécessaire que le temps en fasse perdre la mémoire ; afin qu’elles puissent plaire une seconde fois : Mais quand cela serait vrai, l’on ne pourrait dénier que Molière n’eût bien de l’adresse ou du bonheur de débiter avec tant de succès sa fausse monnaie, et de duper tout Paris avec de mauvaises Pièces.
Non que ses plaintes continuelles donnassent une grande émotion durant le cours de la Pièce ; mais au cinquième Acte où, cessant de se plaindre, l’air morne, l’œil sec et la voix éteinte, elle faisait parler une douleur froide approchante du désespoir, l’art de l’Actrice ajoutait au pathétique du rôle, et les Spectateurs vivement touchés commençaient à pleurer quand Bérénice ne pleurait plus. […] Dans tout autre temps on n’aurait pas besoin de le demander ; mais dans ce siècle où règnent si fièrement les préjugés et l’erreur sous le nom de philosophie, les hommes, abrutis par leur vain savoir, ont fermé leur esprit à la voix de la raison, et leur cœur à celle de la nature. […] Mais si j’ajoute qu’il n’y a point de bonnes mœurs pour les femmes hors d’une vie retirée et domestique ; si je dis que les paisibles soins de la famille et du ménage sont leur partage, que la dignité de leur sexe est dans sa modestie, que la honte et la pudeur sont en elles inséparables de l’honnêteté, que rechercher les regards des hommes c’est déjà s’en laisser corrompre, et que toute femme qui se montre se déshonore : à l’instant va s’élever contre moi cette philosophie d’un jour qui naît et meurt dans le coin d’une grande ville, et veut étouffer de là le cri de la Nature et la voix unanime du genre humain. […] Ainsi l’a voulu la Nature, c’est un crime d’étouffer sa voix. […] A mon dernier voyage à Genève, j’ai déjà vu plusieurs de ces jeunes Demoiselles en juste-au-corps, les dents blanches, la main potelée, la voix flûtée, un joli parasol vert à la main, contrefaire assez maladroitement les hommes.