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12. (1769) Réflexions sur le théâtre, vol 8 « Réflexions sur le théâtre, vol 8 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE HUITIEME. — CHAPITRE I. Réformation de Riccoboni. » pp. 4-27

Cette passion, vue de loin dans des personnes qui s’aiment, dont même on n’entend pas les discours, peut faire la plus vive impression. […] La morale des spectacles est précisément contraire à ce qu’enseigne la religion, & à ce qu’une mère sage dit à sa fille ; on y prend au premier coup d’œil l’amour le plus vif, on se l’avoue réciproquement sans honte, les Héros même s’en font gloire, & on prend pour s’épouser la même route qu’on prendroit pour le crime, démarches hasardées, fourberie, extravagance, fureur contre la résistance, & on y met même de la résistance, pour donner lieu aux indécences. […] Il en eut honte, & changea de vie (Ce moyen est bien critique ; au lieu de réussir, il occasionneroit les plus vives querelles. […] On trouve à chaque instant les expressions les plus vives & les plus touchantes ; elles sont l’ame de la piece, & ne peuvent faire sur les spectateurs que des impressions de mollesse & de corruption. […] Nos petits théatres sont commodes, nous n’y sommes pas exposés au grand air, on voit, on entend facilement ; l’Acteur agit & parle naturellement, & peint tous les sentimens par le ton, le geste & le visage ; tout y fait une sensation bien plus vive.

13. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE II. De la passion d’amour sur le Théâtre. » pp. 18-35

Si cette malheureuse passion vue de loin dans deux personnes qui s’aiment, et dont on n’entend pas même les discours, est souvent capable de faire de vives impressions sur celui qui les observe ; qu’arrivera-t-il, lorsque, sur la scène, un jeune homme et une fille, avec toute la vivacité que l’art peut inspirer, font parade de leur tendresse dans un Dialogue, où les pensées étudiées du Poète sont toujours portées à l’excès ? […] Les hommes et les femmes y prennent au premier coup d’œil l’amour le plus vif l’un pour l’autre : ils se l’avouent réciproquement, sans que leur honneur en reçoive aucune atteinte : ce sont même les Héros et les Héroïnes : les Amants et les Maîtresses prennent, pour parvenir à s’épouser, la même route qu’ils prendraient, s’ils se proposaient une action criminelle. […] Puisque les Modernes ne savent parler que de l’amour sur la Scène, ce qui est la marque certaine, ou d’une corruption générale, ou d’un défaut de génie dans le plus grand nombre des Poètes ; outre qu’ils ne devraient jamais traiter cette passion que dans la vue d’instruire les Spectateurs ; ils pourraient encore joindre à cette passion, devenue instructive, plusieurs autres espèces d’intérêts que la raison et les devoirs autorisent : ainsi on pourrait traiter des sujets de l’amour conjugal, de l’amour paternel, de l’amour filial, de l’amour de la Patrie : voilà des intérêts tendres et vifs, qui seraient nouveaux et très convenables au Théâtre ; intérêts qui peuvent avoir leurs degrés, suivant les circonstances dans lesquelles on peut les saisir, et suivant les différents caractères des hommes que l’on introduirait sur la Scène : par exemple, l’imprudence, la faiblesse, la fermeté, la complaisance, la colère, et toutes les autres passions qui s’associent dans le cœur humain à la passion dominante, ne feraient-elles pas paraître, dans la personne qui serait occupée de quelques-uns de ces sentiments, une infinité de caractères marqués et différents entre eux, qui seraient combattus par la force du raisonnement et par l’ascendant du caractère ?

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