Quand on s’en sert mal, cela vient de la mauvaise disposition de ceux qui s’en servent, souvent on fait un bon usage de ces choses, souvent on en fait aussi un mauvais : c’est pourquoi quand Tertullien et les autres Pères ont comparé le désir déréglé de l’or et de l’argent avec le plaisir de la Comédie, et qu’ils ont condamné l’un et l’autre, ils n’ont pas supposé pour cela, que comme on peut faire un bon usage de l’or, de l’argent, on peut faire de même de la Comédie dans la pratique. […] Cet Auteur s’en est expliqué par ce qu’il en a écrit dans la troisième partie, et par ces paroles qui suivent immédiatement celles qu’on vient de citer Ibid. […] Ce que l’on vient de dire de la Comédie, ne peut s’appliquer aux Tragédies qui se jouent dans les Collèges, selon les Lois Académiques, qui sont plutôt des exercices pour ceux qui en sont les Acteurs, que des divertissements pour les personnes qui y assistent : les sujets en sont bien plus purs, la modestie du Théâtre est bien plus grande, les passions en sont moins vives et moins violentes, les circonstances enfin du lieu, du temps auquel les Tragédies se jouent, et encore des personnes qui s’y trouvent, fournissent bien moins d’occasions d’offenser Dieu ; par conséquent elles sont beaucoup moins dangereuses, et on n’en doit faire aucune comparaison avec les Comédies dont il s’agit. […] A l’égard des Comédies où l’on représente des choses mauvaises, il y a péché d’y assister, quand le plaisir a pour objet les choses déshonnêtes : mais il n’y en a point, disent-ils, quand le plaisir vient de la manière ingénieuse et spirituelle qui se trouve dans l’invention et dans la représentation, par exemple, par rapport à l’Acteur qui représente bien son personnage ; quelques Auteurs sont de ce sentiment.
Car, dites-moy, qu’est-ce que comedie ; je répons qu’elle n’est proprement que cette apotheose tant vantée parmy les Payens, par laquelle un Prince, un Conquerant, un Heros, qui s’étoit signalé pendant sa vie, ou dans le gouvernement de l’Empire, ou dans la defense de la patrie, ou par la defaite des ennemis, étoit admis au rang des dieux, aprés plusieurs religieuses ceremonies, & sur tout avec l’approbation & le consentement du Senat ; cette approbation du Senat a paru si extravagante à Tertullien, que ce Pere voulant tourner en ridicule cette apotheose des Romains, leur dit en se moquant d’eux ; de humano arbitratu divinitas apud vos pensitatur, la divinité parmy vous dépend du jugement humain, elle est une espece de present qui vient de la liberalité des Consuls & du peuple ; en sorte que, nisi homini placuerit, Deus non eritTertull. […] J’avoüe bien que tout ce qui entre dans l’appareil des spectacles, & dans la representation des comedies, appartient à Dieu, & qu’il en est le Createur ; les chevaux du Cirque, les lions de l’Amphitheatre, les Gladiateurs des arennes, les voix & les instrumens du theatre, viennent de luy comme du principe de toutes choses, nemo enim negat Deum esse universitatis conditorem eamque universitatem, tam bonam, quam homini mancipatam : car personne ne nie que Dieu ne soit le Createur de tout l’Univers, que tout l’Univers ne soit composé de bonnes creatures, par l’approbation même qu’elles ont receüe du Createur, & que toutes ces creatures n’ayent été destinées au service de l’homme par la disposition de leur autheur. […] D’où ce sçavant Africain conclud que, tota ratio damnationis, perversa est administratio conditionis ; que tout ce qu’il y a de vicieux & de condamnable dans les creatures, vient de l’injuste & du mauvais usage qu’on en fait.