Le Poëte peut pareillement tirer un sel piquant, mais utile, de la fatuité des hommes. […] La Muse Dramatique est plus libre sans être infidelle, & par-là elle devient plus utile. […] Alors l’Opera même réünira l’utile à l’agréable pour insinuer dans les cœurs le pur amour de la vertu. […] Vous aimez mieux divertir le Parterre, qu’être utiles à la Patrie. […] Les uns & les autres préfereroient l’avantage honorable & même utile pour eux, de nous plaire & de nous être utiles, à la honte de déplaire & de nuire, aux dépens de leur interêt & de leur honneur.
En effet, une fille qui consent que son Amant l’enlève, dans l’instant qu’elle est à l’Autel pour en épouser un autre que son père lui a destiné, et qui à la fin se trouve réduite par la mort de son mari à se tuer elle-même, ne peut, je pense, que présenter une leçon bien utile aux jeunes personnes ; puisque malheureusement il s’en trouve qui ne craignent pas de s’exposer au sort de Servilius et de Valérie. […] Martelli, Italien : c’est une étude digne d’un homme d’esprit et de goût, que de comparer à l’original Grec les imitations des deux Poètes que je viens de nommer, et d’examiner l’art avec lequel chacun d’eux a tourné, selon son génie, la Tragédie d’Euripide : pour moi j’admire également tous les deux ; car, en suivant des routes très différentes, chacun d’eux a réussi parfaitement, et a trouvé moyen d’ajouter des beautés nouvelles à l’original Grec : cet examen et les remarques qu’il ferait naître fourniraient aisément matière à une dissertation très curieuse, et surtout utile pour les Poètes ; mais je reviens à mon sujet. […] C’est de dessein prémédité que j’ai gardé la Tragédie de Brutus pour la dernière de celles que j’examine dans l’idée de les conserver sur le Théâtre de la réforme : et je répète que je l’ai fait de dessein prémédité ; ayant voulu terminer cet article par un exemple remarquable des excès de la passion d’amour ; car ces excès fidèlement représentés sont selon moi presque aussi utiles pour corriger les mœurs que la peinture des faiblesses de l’amour me paraît capable de les corrompre. […] Quand les Auteurs se seront imposés la loi de punir la passion d’amour dans leurs Ouvrages, comme ils punissent toutes les autres passions, alors elle sera digne du Théâtre ; parce que la représentation en deviendra utile à la République : mais toutes les fois que la passion d’amour sera non seulement accompagnée de mollesse, mais encore récompensée, comme on ne le voit que trop souvent dans les Pièces de Théâtre ; alors on ne pourra en aucune manière la justifier, et je serai toujours le premier à la condamner.