Mon amie, vous pourriez vous tromper ici a daignez m’écouter : le méchant, dans l’ivresse, comme devant tout le monde le mal que dans le calme il fait en secret ; croyez-moi, voila la seule différence : une étude des hommes, assez superficielle, a suffi pour me l’apprendre. […] c’est le plus grand des biens… Je me trompais encore : l’amour est autre chose que ce qu’on entend par un bien ; il est une modalité des âmes, qui donne le prix à tous les biens ; c’est une émanation puissamment active de la nature divine répandue sur tous les êtres vivans, qui les lie entr’eux, les unit avec leur Principe, & les rend participans de la première de ses perfections. […] J’ai pensé, comme madame Des Tianges, que Riccoboni se trompait, en croyant avoir fait beaucoup par la suppression de l’amour dans les Pièces : outre qu’elle ôterait l’intérêt, elle serait même insuffisante : cette passion est un feu qui brûle dans tous les cœurs ; à laquelle tout sert d’aliment : on ne la propage pas, en lui fournissant de la matière ; on ne l’éteint pas, en la renfermant, en la concentrant : voyez ce dévot toujours en garde sur lui-même, dont les yeux se détournent & l’oreille se ferme à toute obscénité ; qu’y gagne-t-il ? […] Je me dis en moi-même, qu’on ne venait pas-là pour se faire des mœurs : un peu plus d’usage, & la lecture de nos meilleurs Drames tragiques & comiques, sans augmenter ma considération pour l’Histrionisme, me firent voir en quoi je m’étais trompé dans mon premier jugement. […] Ces traits affreux du Tableau, qui représentent un Fils, qui tue son Père, épouse sa Mère, & se trouve le père de ses Enfans ; un Brigand favorisé de la fortune, qui trompe un Fils & lui fait égorger son propre Père ; un Frère dénaturé, qui fait boire à son Frère le sang… ces traits feront toujours frissonner le Peuple le plus doux & le plus humain qui soit sur la terre : mais les Drames qui les lui retracent, ne les lui font pas connaître ; il a vu ces traits dans la Fable & dans l’Histoire : si donc la Tragédie les lui peint abominables, ces peintures lui sont utiles, parce que ce Peuple, un jour, malgré sa douceur, pourrait tomber dans ces forfaits, & n’en sentir toute l’horreur, qu’après les avoir commis : la Tragédie l’instruit aux dépens des siècles passés, pour le préserver du malheur de l’être jamais aux siens.
si, comme autrefois, ses rameaux enlacés peuvent offrir à la timide innocence un abri salutaire, si la douceur de leurs fruits, en tempérant l’âcreté de ceux que produit l’ignorance et la superstition, fait enfin tomber des yeux indignement trompés, le funeste bandeau de la stupide crédulité, et fait autant de Français et d’amis de l’état, que dans ces climats lointains on trouvera de vrais prosélytes ! […] « Moins utile dans ses succès, continue-t-elle, n’est-il pas moins nuisible dans ses erreurs, et l’acteur qui joue mal, ne fait-il pas moins de tort aux gens que le médecin qui se trompe, ou l’avocat qui bavarde. » C’est ici prendre le changej. […] L’auteur ne prouve donc rien et est hors la question, quand il soutient que l’acteur qui joue mal, ne fait aucun tort aux gens, et qu’il est moins dangereux que le médecin qui se trompe ou l’avocat qui bavarde. […] Il me semble, ou je me trompe fort, qu’un pareil sujet, sous la plume habile qui nous a tracé le caractère vraiment original de Médiocre et Rampant m, ou sous celle qui nous a enrichis de l’élégant tableau des Mœurs du Jour n, deviendrait singulièrement intéressant, et obtiendrait bientôt les suffrages d’un public judicieux. […] Qui ne voit pas tous les jours encore, à l’Opéra Comique, des amoureux intrigants, sous l’habit religieux, tromper l’aveugle crédulité de toute une communauté de Visitandines, dont une sœur converse, à la grille du parloir, se permet des couplets équivoques, dont la licence serait à peine tolérée dans un cercle de femmes galantesx.