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2. (1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 3 « Chapitre IV. Le Peuple doit-il aller à la Comédie ? » pp. 60-74

J’admire quelquefois le zèle et les réflexions de nos Philosophes politiques sur le grand nombre des fêtes qui font chômer le travail de l’artisan et du laboureur. […] Ces grands politiques oublient-ils que ces intervalles de délassement, indépendamment du grand objet de la religion et de l’instruction des peuples, sont nécessaires à la santé du corps, qu’un travail continuel accable ; à la vigueur de l’esprit, que la continuité des occupations rend triste et sauvage : à la douceur de la société, dont ces moments de liberté et de plaisir resserrent les liens ; au travail lui-même, dont on se lasserait et se dégoûterait bientôt ? […] Chaque représentation distrait du travail quatre cents personnes, voilà deux cents journées perdues. […] Non sans doute, ils ne le sont pas tous ; mais assurément la totalité des Acteurs, et plus de la moitié des spectateurs et des compositeurs ne sont nés que pour un travail mécanique ; la scène les en arrache, les en dégoûte, et les rend inhabiles à tout. […] est-il personne qui ne soit comptable de son temps et de ses talents à Dieu, à la société, à sa famille, et ne se rende coupable en les privant du service qu’il pourrait leur rendre par son travail ?

3. (1634) Apologie de Guillot-Gorju. Adressée à tous les beaux Esprits « Chapitre » pp. 3-16

On n’entreprend point un travail en tant que travail, et cela est tellement vrai que l’homme ne peut pas longtemps agir, en quelque condition qu’il se rencontre, sans être diverti et récréé par une nouvelle délectation. […] Ils sont la plupart du temps appelés pour divertir les Rois, les Princes, et les Seigneurs de leurs sérieuses occupations : dont les délices, comme disait un Duc de Florence, sont plus à estimer que le travail de leurs sujects, et dont les plaisirs et divertissements nous doivent être aussi précieux que leur personne nous est chère. […] Peut-être les adversaires de GUILLOT-GORJU désespérés de pouvoir mordre là-dessus non plus que sur le verre se prendront à l’argent que les Comédiens reçoivent, comme un juste salaire de leur travail. […] Tout travail mérite récompense ; et qui ne voit qu’il faudrait détruire le commerce, si les choses se donnaient pour rien : au contraire, il faudrait avouer que les Comédiens seraient infâmes, s’ils prenaient votre argent sans vous donner du plaisir, ou s’ils vous donnaient du plaisir pour rien, qui ne les estimerait gens pleins de grand loisir ? […] Il paraît aussi que cette opinion est seulement dans l’esprit du vulgaire comme une maladie épidémique : car pour les Grands ils ne se contentent pas de payer au double les loges, mais ils leur font outre plus de très grands présents estimant ne pouvoir trop récompenser un si agréable travail.

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