C’est précisément sa douleur qui fait sa joie dans ces spectacles d’attendrissement ; mais comme la compassion qu’inspire la Tragédie, est proprement une compassion stérile, qui ne tend pas à secourir les affligés, mais seulement à s’unir de cœur à leur affliction ; il s’ensuit qu’on prend tout le mauvais de la Tragédie, et que le bon échappe faute d’objet sur qui l’appliquer. […] S’il était permis d’enchérir sur ce fameux Père de l’Eglise, je dirais que la douleur honnête qu’on prend dans les Tragédies, accoutume à une douleur vicieuse ; car Satan ne perd jamais ses droits. […] Convenons donc que ces larmes qu’on donne à la Tragédie, procédant de la source de l’amour naturel que nous avons les uns pour les autres, elles peuvent devenir très vicieuses par leur funeste application ; voilà le principe dans lequel je me suis renfermé pour montrer le danger de la Tragédie, et c’est sur ce principe que j’ai posé tous les fondements de ma Satirec. […] Je regarde la Tragédie, comme le grand ressort du cœur humain. […] Disons donc que la Tragédie est un mélange adroit de douleur et de volupté, et qu’elle n’a pour but que de raffiner l’amour propre, ou l’amour déréglé des Créatures.
J’ai rapporté dans l’Histoire de la Poësie Dramatique chez les Grecs, que pour rendre la joie au Spectateur attristé par la Tragédie, les Poëtes inventerent les Piéces Satyriques, Piéces de mauvais goût, parce qu’il ne peut y avoir d’alliance entre la Tragédie & la Comédie, deux espéces de Poësie, entierement opposées l’une à l’autre. L’une doit être toujours baignée de larmes, & telle étoit la Tragédie Grecque : l’autre doit toujours rire, & tel étoit le caractere de la Vieille Comédie. […] J’ai dit que la Tragédie avoit à Athenes précédé la Comédie, parce que les Poëtes trouverent qu’il leur étoit plus aisé de faire pleurer que de faire rire. […] Il n’est pas nécessaire de faire valoir cette raison : nous conviendrons aisément que la Tragédie nous procure un plaisir plus vif que celui de la Comédie. La Tragédie qui excite en nous les deux Passions qui nous sont données pour notre conservation & celle des autres, en les excitant nous fait jouir d’un Bien.