… Du plaisir, des tourmens… Loin de vous, mais jouissant de la présence de mon ami, de l’entretien d’une femme que j’estime, que j’adore, dans qui je vois les grâces les plus touchantes unies à la vertu ; j’ai peine à démêler mes sentimens : est-ce l’admiration seule, est-ce l’amitié ? […] J’ai lu quelque part, que les Lacédémoniens firent une Loi, par laquelle il était ordonné, que lorsqu’un mauvais Citoyen aurait ouvert un bon avis, avant de le communiquer à toute l’assemblée du Peuple, on devait faire répéter la même chose à un homme vertueux ; & quoique celui ci n’eût pas été capable de l’imaginer, c’était néanmoins de sa part qu’on la proposait à la multitude : « De peur, ajoutait le divin Législateur de Sparte, qu’une maxime sage, un decret utile ne parussent sortir d’une source impure, & que par cette raison, on ne se crût autorisé à y déroger. » J’ai trouvé cette conséquence si juste, qu’elle va servir de fondement au Projet de Réforme que je propose pour le Comédisme : nous ferons passer par le canal de bouches innocentes, les sentimens d’honneur, les maximes de grandeur d’âme, d’humanité, de fidélité, que nous voudrons inspirer à la Nation. […] Je ne parlerai pas ici de la vraisemblance du fond du Drame, qui doit règler l’action, l’intrigue, le caractère, le dénoûment, & qui consiste à ne mettre sous les yeux du Spectateur que des actions convenables & possibles ; à faire parler les Personnages selon les circonstances, les sentimens dont ils doivent être affectés ; on peut recourir aux Dissertations de Corneille & à nos Poétiques ; mais j’envisagerai cinq autres degrés de vraisemblance assez négligés ; je veux dire, le Langage, les Monologues, les A-parté, l’Usage des Valets & des Soubrettes, & la Position. […] Je n’entrerai pas dans de grands détails là-dessus ; je vais citer seulement la Soubrette du Tartufe ; cette femme est trop hardie, trop insolente ; son rôle, d’un bout à l’autre, est invraisemblable : mais le personnage de Juliette, dans la Gouvernante, a beaucoup de vérité : il est naturel qu’une Suivante ait un libre accès & soit fort bien, avec une jeune Orfeline, étrangère dans la maison où elle vit ; que cette domestique marque de la jalousie contre une Gouvernante nouvellement introduite, qui veut lui enlever la confiance de sa jeune maîtresse ; qu’elle ait des sentimens conformes à son éducation, & favorise en secret un Amant aimable, honnête, libéral. […] C’est ce qui fait qu’on ne peut lire sans indignation, quel usage fesaient les Romains des jeunes Princes Asiatiques, qui leur étaient remis en ôtage : ils ne négligeaient rien pour les corrompre & les efféminer, en les rabaissant à l’humiliant emploi d’amuser la populace de Rome sur le Théâtre : ils les traitaient comme des Esclaves, afin de leur en inspirer la vileté & les sentimens.
Le sieur le Kain, acteur célebre, dont le ton tragique, & la déclamation énergumene en imposeroient à ceux qui oseroient penser différemment, a fait l’annonce de la piéce, & témoigné au nom des comédiens : leurs sentimens d’admiration, de reconnoissance, de pieté filiale envers leur pere, leur bienfaiteur, l’homme de génie, qui a illustrè la scène Françoise ; il a déclaré en même-tems, que le produit de la représentation de cette piéce étoit destiné, par les comédiens, à ériger la statue de Moliere, & qu’ils esperent le secours de la nation pour consommer ce grand ouvrage ; démarche & quête mesquine ! […] Cet in-promptu projetté, & préparé à loisir, cette galanterie provinciale est une idée fausse : donner des couronnes, suppose une supériorité que l’acteur n’a pas sur le poëte, dont il n’est que l’organe, dont il ne doit que rendre les sentimens, les expressions & les idées.