Si nos mœurs ne sont pas plus chastes que celles des Anciens ; au moins notre langue est infiniment plus retenue et plus modeste ; elle ne se permet jamais la moindre licence, semblable à ces prudes farouches, avec lesquelles on est toujours dans le respect. […] C’est peut-être pour cela que les Comédiens, dans le Digeste de Justinien, sont traités comme des infâmes, à cause qu’ils abusaient de leur profession pour corrompre les bonnes mœurs, par les infamies qu’ils mêlaient dans leurs pièces, et par les postures honteuses, qui accompagnaient leurs Représentations ; mais puisque l’on ne peut rien reprocher de semblable ni à la Comédie, ni aux Comédiens modernes, on ne doit pas regarder leur état, des mêmes yeux, qu’on le regardait au temps de Justinien ; car les Comédiens vivent en honnêtes gens ; ils sont soufferts et estimés des plus grands Seigneurs de la Cour, qui les admettent à leurs tables, à leur jeu, dans leurs parties de plaisir ; les pièces qu’ils donnent au public, sont châtiées, tous les sentiments en sont beaux, et portant plutôt à la vertu, qu’au vice et au libertinage.
Ayant à faire voir en cette Pièce un amant qui se tue pour ne pas survivre à celle qu’il aime : il n’aurait rien épargné pour mettre en leur jour tous les emportements qui accompagnent une mort comme celle-là : Bien loin de s’étudier à ne faire jamais paraître ensemble ces deux Amants, il aurait ménagé entre eux quelque Scène semblable à celles que l’on souhaite si fort aujourd’hui. […] Il faudrait pour cela que quelque grand Poète entreprît de faire cette Tragédie ; mais je voudrais que le sujet en fût connu : car je ne me souviens d’aucuns événements de l’Histoire qui soient semblables à ceux que vous venez de me raconter.