Je fis il y a dix ou douze ans un écrit Latin sur la Comédie, où sans avoir mûrement examiné la matière, et par une légèreté de Jeunesse, je prenais le parti de la justifier, de la manière que je me figurais qu’elle se représentait à Paris, n’en ayant jamais vu aucune, et m’en faisant, sur les rapports que j’en avais ouï, une idée trop favorable, et je ne puis que je ne reconnaisse à ma confusion, que les principes et les preuves qui se trouvent dans la Lettre qui s’est donnée au public sans ma participation, sont les mêmes que dans mon écrit particulier, quoi qu’il y ait quelques endroits de différents entre les deux, où l’Auteur de la Lettre dit ce que je ne dis pas, et parle autrement que je ne fais moi-même dans mon écrit, comme en ce qu’il apporte sans raison en faveur de la Comédie, votre silence sur sa représentation, Monseigneur, pour en inférer un consentement et une approbation tacite de votre part, ce que je n’ai point fait dans mon écrit, où je ne dis rien du tout qui puisse regarder personnellement V.
Et comme cette matiere estant publique ne regarde pas moins les peres & les meres, les Puissances ecclesiastiques & seculieres, que les particuliers : Comme les Pieces de theatre sont ou entierement criminelles, ou en partie innocentes, en partie criminelles, & qu’il n’y a point d’Auteur qui n’en puisse composer de criminelles, voyons le zele avec lequel il faut fuïr & interdire les criminelles, reformer celles qui sont en partie innocentes, en partie criminelles ; empescher de paroistre celles qui peuvent estre criminelles ; ce sont les moyens d’arrester le mal qu’elles sont ou par elles-mesmes, ou par quelqu’une de leurs parties ; ce sont les moyens de prévenir le mal que les Pieces nouvelles pourroient faire. […] Saint Cyprien avoit dit la mesme chose en d’autres termes, il ne s’étonne pas moins que ceux qui regardent ces crimes, ne croyent pas les commettre par les yeux. […] Il n’est pas permis de voir, selon le sentiment de ce grand Personnage, ce que Dieu défend de faire ; on ne peut pas regarder avec innocence ce qu’on ne pourroit accomplir sans peché, & ces ordures ne pouvant sortir de la bouche, qu’elles ne soüillent & la langue, & l’ame, de quelle maniere entreront-elles par les yeux & par les oreilles sans infecter l’esprit, le cœur, & les sens mesmes qui leur accordent le passage ? […] La charité doit obliger les Magistrats de regarder les choses permises comme si elles ne l’estoient pas, quand elles peuvent porter du préjudice au public ; & Dieu veut qu’ils défendent ce qui est contraire à la premiere & à la souveraine des loix, qui est le bien du peuple. […] Et quand les Magistrats sçavent qu’on jouë de ces fortes de Pieces, ils ne peuvent pas en conscience permettre que l’on continuë, jusqu’à ce qu’ils les ayent fait examiner, & corriger ; ils ne doivent pas avoir moins soin des peuples, en tout ce qui regarde le bien public, que les peres & les meres doivent en avoir de leurs enfans : Dieu établit en effet les Magistrats pour estre les curateurs & les tuteurs des peuples, & pour leur servir de peres.