Je vous avoue, Agathon, que j’ai de la peine à décider : Car outre que j’ai un penchant naturel à ne pas juger mal de mon prochain, les raisons qui se présentent à mon esprit sur cette affaire, me partagent ; et si vous le voulez, nous les examinerons sans aucun préjugé. […] L’on a tant couru au Théâtre Italien qui s’enrichissait de jour en jour, des pertes que notre nation faisait en l’honnêteté des mœurs : Et l’on voulait que la raison de cet empressement, fût le plaisir d’y voir deux Comédies pour une, et deux sortes d’Acteurs et d’Actrices pour une seule action ; les véritables dans les loges, et les imaginaires sur le Théâtre ; la Comédie en son réel, et la Comédie en sa représentation. […] Non, je ne l’avais pas ouï dire depuis ces deux détestables filles qui y réussirent ; avec cette différence, qu’elles y conservèrent leur raison en y perdant la pudeur ; et que celles dont nous parlons y perdant ordinairement la raison, ne sont plus en état d’y conserver la pudeur.
Pour un bon ouvrage en vers ou en prose, qui peut compter les vaudevilles, chansons, épigrammes, lettres, ana, conversations, mélanges, bons mots, etc. où sans ordre, sans choix, sans liaison, passant du grave au puérile, du religieux au bouffon, de la raison à la folie, on est entraîné dans un tourbillon de frivolité qui détruit jusqu'au germe de la vertu et de la littérature ? […] Le bon goût, la raison, les vertus sont plus nobles, plus solides, de tout un autre prix. […] On n'a jamais tant et si peu écrit, si bien et si mal ; tant, à compter les feuilles d'impression ; si peu, à peser la solidité des raisons ; si bien, si l'on ne cherche qu'à cabrioler ; si mal, si l'on désire de s'instruire. […] Pour nous qui ne sommes point initiés dans ces mystères d'élégance, nous convenons que notre antique prud’homie, peut-être en vertugadin, comme celle de nos grands- pères, préfère la raison et la vérité aux rubans et aux aigrettes, la sagesse et la décence aux grands et aux petits airs de Marquis, et mérite aussi peu qu'elle le désire une place dans le cercle des ris et des jeux. […] Je dis du moins que ce n'est là ni le ton de la raison, ni celui de la vertu, ni celui des sciences ; que des modèles si remuants, une école si pétillante, des leçons si superficielles, ne seront jamais celles du bon goût et de la sagesse ; que dans la bonne compagnie, de vingt comédies on ne trouvera pas une page de religion, de bonnes mœurs et de bon sens.