Le profane vulgaire, animal sans yeux, sans réflexion, sans jugement, prit ce genre honteux sous sa protection, & par son affluence journaliere aux Trétaux, parut le consacrer. […] S’il est assez sage pour prendre son congé lui-même, on l’oublie dans l’instant : ose-t-il se présenter, on l’humilie ; revient-il à la charge, on le chasse. […] Comme la Capitale, ainsi que je l’ai dit, donne le ton aux Provinces, ce serait risquer la perte des mœurs de la Nation entiere, que de laisser subsister plus long-tems ces Jeux si contraires aux sages mesures que le Roi prend pour assurer le bonheur de ses Peuples. […] c’est nous qui les enseignons, c’est nous qu’ils prennent pour maîtres & pour modeles. […] C’est là que la partie la plus considérable d’une Nation, celle qui, par état, guide nécessairement ou égare la multitude qui marche à sa suite, vient prendre ses principes, recevoir des exemples, contracter des habitudes.
Comme on n'y représente que des galanteries ou des aventures extraordinaires, et que les discours de ceux qui y parlent sont assez éloignés de ceux dont on use dans les affaires sérieuses; on y prend insensiblement une disposition d'esprit toute romanesque, on se remplit la tête de héros et d'héroïnes ; et les femmes principalement y voyant les adorations qu'on y rend à celles de leur sexe, dont elles voient l'image et la pratique dans les compagnies de divertissement, où de jeunes gens leur débitent ce qu'ils ont appris dans les Romans, et les traitent en Nymphes et Déesses, s'impriment tellement dans la fantaisie cette sorte de vie, que les petites affaires de leur ménage leur deviennent insupportables; et quand elles reviennent dans leurs maisons avec cet esprit évaporé et tout plein de ces folies, elles y trouvent tout désagréable, et surtout leurs maris qui, étant occupés de leurs affaires ne sont pas toujours en humeur de leur rendre ces complaisances ridicules, qu'on rend aux femmes dans les Comédies, dans les Romans et dans la vie romanesque.