Ceux qui prétendent qu’il ne faut jamais ensanglanter le Théâtre, ignorent ce que c’est que de l’ensanglanter ; il ne faut jamais y répandre le sang de personne, mais on y peut verser le sien, quand on y est porté par un beau désespoir ; c’était une action consacrée chez les Romains. […] Puisque la Tragédie est une instruction pour porter les hommes à la vertu, et pour les détourner des vices ; la règle générale est que la vertu soit récompensée, et le crime puni. […] Cet usage était ordinaire ; de sorte que le sage Caton, assistant un jour au Théâtre, et étant averti, que les Romains, par le respect qu’ils portaient à son caractère, n’osaient demander que les jeunes filles et les jeunes garçons parussent tout nus sur le Théâtre ; il se retira, pour ne pas priver le peuple de ce plaisir brutal, et pour n’être pas lui-même témoin de cette infamie, dont la gravité de Caton aurait été offensée. […] Ceux qui se fondent sur l’autorité des Pères, ne font pas réflexion qu’ils ont déclamé avec la même véhémence contre les festins, contre le luxe des habits, contre la magnificence des bâtiments et des meubles ; cependant personne ne se fait maintenant un scrupule d’être bien logé, de faire bonne chère, de porter de riches étoffes, et de s’habiller selon son état, pourvu que l’on ne dissipe pas son bien, et que l’usage en soit innocent et modéré. […] La Comédie a été inventée pour rendre le vice odieux, et pour faire aimer la vertu ; pour contenir les méchants par la terreur des supplices ; pour porter les hommes à la vertu, par l’espérance de la gloire, et des récompenses qui y sont attachées.
Quand les plus célébres Poëtes ont médité les principes de l’art toute leur vie ; quand ils ont passé les jours & les nuits à consulter les Anciens, à se nourrir des beautés de leurs ouvrages ; quand ils ont puisé les plus grands traits de leurs Poëmes dans ces sources ; quand après des refléxions profondes, des veilles opiniâtres, & avec un génie brillant, ils se sont à peine crus en état de porter ce noble fardeau, & n’ont proposé leurs découvertes qu’avec modestie, & que comme des doutes ; nous verrons des enfans sans principes, sans connoissances, s’abandonner à une yvresse aveugle, & se croire supérieurs à tout ce qu’exige le Théatre ? […] « Ouvrez, Comédiens, ouvrez vos portes & vos Théatres à ces essains de jeunes athlétes, qui la plûpart n’ont besoin, pour se distinguer dans la carriere, que de la connoître : servez d’appui à ces tendres plantes, à qui la culture donnera de nouvelles forces, & fera porter des fruits excellens.