D’Amboise, Lorraine, Tournon, Ximenès, même Wolsey en Angleterre, Cardinaux et Ministres d’Etat, comme eux, ont-ils érigé des théâtres, ceint leur front des lauriers du parnasse, et employé les revenus de l’Etat à soudoyer des Poètes comiques et des troupes d’Acteurs ? […] Ce sont ces mêmes pièces, dont le ridicule, la bassesse, la grossièreté, font ordinairement le mérite, qui parurent au Cardinal un trésor précieux, soit qu’il espérât d’y trouver des pièces dont il enrichirait son théâtre, soit qu’il se flattât d’y pouvoir recueillir des traits pour lui et pour ses Poètes gagés. […] Il avait honte d’abord de s’avouer Poète, les premières pièces parurent « sous le nom de Desmarets (ce fameux visionnaire), son confident et, pour ainsi dire, son premier Commis dans le département des affaires poétiques ». […] « En récompense, lui dit-il, je vous prêterai ma bourse en quelque autre occasion. » Toutes ces anecdotes, et cent autres, font voir que les Poètes ne sont pas des courtisans discrets. […] Cette pièce, dit Fontenelle, sent bien le Ministre Poète ; il a bien l’air dans ces trois nœuds de se vanter de ses bonnes fortunes.
Je dirai que je me suis étonné cent fois, comment ces grands Poètes, ces illustres Auteurs de toutes les Comédies de ce temps, ne se sont point fait de scrupule de consumer leur vie et leur esprit à composer des ouvrages pour l’entretien du Théâtre, que l’Eglise et les Pères ont si fort condamné dans tous les temps. […] Ce sont les Poètes qui donnent dans le cabinet la torture à leur imagination pour lui faire enfanter des prodiges. […] Les pensées extraordinaires des Poètes sur ces matieres, sont autant de coups de burin qui gravent ces passions dans nôtre cerveau, plus avant qu’elles n’y étaient, et sans que nous nous en apercevions. […] Or la représentation fait toujours des impressions plus vives que la lecture, comme le dit ce Poète qui a si bien entendu ce que peut la représentation. Je ne saurais croire que les Poètes ignorent tout cela, puisque leur dessein dans la composition des Comédies est de les rendre si vives et si touchantes, que l’imagination soit trompée et qu’elle croie assister à une action véritable, non pas à une représentation : Ils ne sauraient donc ignorer le mal que fait la Comédie, puisque c’est là tout leur but.