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143. (1665) Lettre sur les observations d’une comédie du sieur Molière intitulée Le Festin de Pierre « [Lettre] » pp. 4-32

L'on n’ose la mettre au jour, de crainte d’être regardé comme le défenseur de ce que la religion condamne, encore qu’elle n’y prenne point de part et qu’il soit aisé de juger qu’elle parlerait autrement si elle pouvait parler elle-même, ce qui m’oblige à vous dire mon sentiment, ce que je ne ferais toutefois pas sans scrupule si l’auteur de ces Observations avait parlé avec moins de passion. Je vous avoue que, si ces remarques partaient d’un esprit que la passion fît moins parler, et que si elles étaient aussi justes qu’elles sont bien écrites, il serait difficile de trouver un livre plus achevé. […] La première chose où l’auteur de ces Observations fait connaître sa passion est que par une affectation qui marque que sa bile est un peu trop échauffée, il ne traite Molière que de farceur, et, ne lui donnant du talent que pour la farce, il lui ôte en même temps les rencontres de Gaultier-Garguille, les impromptus de Turlupin, la bravoure du Capitan, la naïveté de Jodelet, la panse de Gros-Guillaume et la science du Docteurb. Mais il ne considère pas que sa passion l’aveugle et qu’il a tort de lui donner du talent pour la farce et de ne vouloir pas qu’il ait rien du farceur. […] Il n’a pas pris garde que sa passion l’a emporté, que son zèle est devenu indiscret et que la prudence se rencontre rarement dans les ouvrages qui sont écrits avec tant de chaleur.

144. (1773) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre quinzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littéraires, sur le théatre. — Chapitre III. Aveux importans. » pp. 83-110

Les spectacles sont incompatibles avec la piété, ils remplissent l’ame de passions, l’esprit d’idées, le cœur de sentimens qui la détruisent . […] Ces objets n’excitent dans l’ame que des mouvemens doux & tranquilles qui ne portent à aucun péché, & ne favorisent aucune passion, ils invitent même à louer, à aimer, à admirer un Dieu dont ils peignent les perfections, mais les beautés théatrales, vanités des vanités, pompe du monde, attraits de la chair, cette musique efféminée, ces paroles tendres, ces intrigues galantés, ces nudités, ces gestes, ce fard, ce luxe ne viennent que du vice, ne portent qu’au vice, n’entretiennent que les passions les plus criminelles, & ne peuvent que conduire au dernier crime. […] Les plaisirs de l’esprit par eux-mêmes innocens peuvent être très-criminels, on confond l’esprit avec son impureté ; on croit dans un ouvrage n’aimer que l’esprit, & on n’en aime que la corruption, l’esprit n’est qu’un prétexte, & quand même on aimeroit ce qu’il y a d’ingénu, on goûte sur-tout ce qui s’y trouve de licencieux, qui favorise les passions. […] Eile y a semé quelques traits de morale, d’histoire, de politique très-superficiels : il est vrai, mais qui supposent quelque lecture, & qui sont comme le passeport de l’inépuisable coquetterie qui en fait le tissu, & qui n’est propre qu’à allumer les passions, à justifier & faire goûter la galanterie & repaître l’imagination d’objets dangereux, ou un mot à corrompre le cœur. […] Godeau, malgré l’estime qu’il en faisoit, & la reconnoissance pour son bienfaiteur, le Cardinal de Richelieu rend justice à la vérité, quoiqu’alors dans le tourbillon des passions du monde.

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