Pour séduire une femme très-respectable de la Cour d’Hongrie, un Prince son amant, ordonna sous main, aux acteurs de ne représenter que des piéces où la foiblesse des femmes fût toujours excusée ; ainsi tout disoit à cette Dame qu’une femme peut se livrer sans crime, au penchant de son cœur ; mille exemples, moyens plus persausifs que tous les discours, l’assuroient que le deshonneur ne suit pas toujours une tendre foiblesse, que la plus austere vertu n’est pas à l’abri des soupçons, que la loi de la fidélité n’est qu’un joug imposé par la tyrannie des maris, qu’une femme sage peut reprimer les desirs ; mais qu’il lui est impossible de n’avoir pas de penchant. […] L’auteur dont l’intention est bonne, n’a pas pensé qu’au tems des croisades, où il place cette aventure, il n’y avoit point de spectacle réglé où l’on pût ordonner des piéces à son gré ; que la Hongrie, dont le Roi allant à la Terre-Sainte, laissa régner le mari de cette femme ; que la Moravie, dont le Souverain fut le séducteur artificieux, étoient des pays barbares, où le théatre étoit inconnu, où il n’est guere connu encore ; ainsi le représente l’auteur de l’histoire de Jeanne de Naples, qui avoit épousé dans ce même tems, le frere du Roi d’Hongrie.
Madame, Si vous m’ordonniez de vous écrire sur d’autres matières, et qui eussent plus de rapport à mon état, peut-être le ferais-je avec plus de succès ; ou si vous me laissiez la liberté de faire mon plan moi-même, et de choisir des sujets proportionnés à mon génie, et à mes connaissances, je travaillerais avec moins de gêne, et moins de contrainte, et je pourrais vous dire des choses plus raisonnables ; mais je vous avouerai sans façon, Madame, et sans honte, que je ne fais point de vers ; qu’il y a plus de quinze ans, que je n’ai vu le Théâtre, ni assisté à aucune Comédie ; je ne sais si c’est par scrupule, ou faute de goût pour les spectacles ; enfin je suis aussi mauvais Poète, que mauvais Historien, et je doute que je puisse m’acquitter, avec honneur, de ce que vous m’ordonnez.