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91. (1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 3 « Chapitre III. Du Cardinal de Richelieu. » pp. 35-59

C’est celle d’Armand, le Dieu tutélaire des lettres : c’est la voix de cet oracle. » On trouve dans cette pièce des traits bien singuliers : « Les Rois sont au-dessus des crimes … Toutes choses sont légitimes pour les Princes qui peuvent tout … Raison, dont la voix importune vient s’opposer à ma fortune, tais-toi, le conseil en est pris » … quelle morale ! […] Ce n’est pas qu’on n’y eût trouvé bien des erreurs sur la morale ; mais ce n’est pas ce que l’Eminence prétendait, elle voulait une critique, non une censure doctrinale. […] Père, fils, maîtresse, beau-père, confident, tout est unanime sur ce faux point d’honneur ; il faut tout lui sacrifier, ses biens, ses dignités, sa maîtresse, sa vie ; ce qui est un monstre en morale, quelque effort qu’ait fait Marmontel pour le justifier. […] La condamnation de l’Académie, où même il ne fut pas question de cet article, et qui d’ailleurs n’avait aucun droit de prononcer sur ces matières et de punir ce scandale, était un faible contrepoison à une si pernicieuse morale, contre laquelle l’autorité royale ne pouvait trop sévir, et qui ne faisait que surprendre encore plus par la nouveauté et la publicité d’une si singulière procédure, qui réveillait l’attention de tout le monde. […] Tel Racine faisait profession de la morale sévère de Port-Royal, et composait Phèdre, Bérénice, et exerçait la Chammelé.

92. (1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 4 « CHAPITRE IV. Suite des effets des Passions. » pp. 84-107

Elles ont leurs Prêtres et leurs Prêtresses qui entretiennent leur culte avec le plus grand zèle, des Prédicateurs pleins d'esprit et de talents qui en débitent la morale et lui gagnent une foule de prosélytes, des Dévots innombrables qui viennent assidûment l'écouter et la mettent fidèlement en pratique, et dans leur sainte impatience vont dans des chambres pratiquées à dessein autour du Temple en faire dévotement les exercices. […] Et d'abord en matière d'impureté, le libertinage seul peut trouver rigoureuse cette morale incontestable ; les autres passions, moins fréquentes, moins dangereuses, obtiennent-elles plus d'indulgence ? […] Dans la morale chrétienne, toute délectation, tout sentiment de plaisir goûté volontairement, est un péché mortel ; fît-on les plus subtiles distinctions, ne voulût-on pas aller plus loin, pût-on se promettre de ne pas passer ces bornes, c'en est assez, le seul goût volontaire du plaisir mérite l'enfer. Que le flambeau de cette morale à la main, on parcoure le théâtre, en sonde son cœur, je m'en rapporte à la bonne foi de l'amateur le plus décidé. […] Cette morale serait commode, elle délivrerait de la peine de combattre ; une direction d'intention sauverait tout.

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