/ 311
25. (1773) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre treizieme « Réflexions morales, politiques, historiques,et littéraires, sur le théatre. — Chapitre [V].  » pp. 156-192

Le bonheur ou le malheur éternel de l’homme. […] Quel malheur d’avoir épousé un mari avare, & d’être entrée dans une famille où l’on n’a point le nécessaire ! […] Dans la prédiction du malheur de Tyr, de Babilonne, de Jerusalem, on commence par faire le détail du luxe. […] Daniel lui annonce son malheur, & la même nuit la ville de Babilonne est prise par Cyrus. […] Mais ce qui n’est pas un mystere, c’est le malheur de l’homme, qui se laisse vaincre à ces frivoles ennemis.

26. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — TROISIEME PARTIE. — Tragédies à conserver. » pp. 128-178

De plus, cette passion excite différents sentiments et différentes impressions dans les Spectateurs mêmes ; tantôt elle corrige par l’horreur, comme dans Andromaque et autres Pièces du même genre, où les Amants éprouvent les derniers malheurs, et sont punis de leur passion par la perte même de la vie ; tantôt elle corrige par la compassion, comme dans le Cid, où les traverses, qui rendent les deux Amants malheureux, sont d’autant plus propres à corriger, que les Scènes d’amour de la même Tragédie en sont plus capables de corrompre, et le dénouement plus dangereux. […] Racine savait très bien ce qui convenait à la Tragédie ; et, je le répète encore, s’il n’eût pas craint de révolter le Public, en critiquant le goût général de son siècle, il aurait dit ; « que les tendresses et les jalousies des Amants ne sauraient trouver que fort peu de place parmi le majestueux, l’intéressant et le lugubre d’une action tragique. » Racine savait et sentait à merveille cette vérité ; mais, par malheur pour le Théâtre moderne, non seulement il n’eut pas la force de la déclarer dans la Préface de sa Thébaïde ; il n’osa pas même la pratiquer, si ce n’est dans Esther et dans Athalie : il se livra, malgré ses lumières, à la corruption générale de ses prédécesseurs et de ses contemporains : il ne se contenta pas même de mettre de l’amour dans toutes ses autres Tragédies ; il fit aussi, de cette malheureuse passion, la base de tous les sujets tragiques qu’il a traités. […] Mais, de l’autre côté, Inès et Dom Pedre s’aimaient avec tant de violence, avant leur union, que leur passion les a portés à faire un mariage clandestin, qui devait par mille raisons leur être funeste, en les précipitant dans toutes sortes de malheurs. […] En effet, si Dom Pedre, transporté par la violence de sa passion, foule aux pieds les Loix les plus respectables ; s’il désobéit à son père ; s’il se marie sans son consentement, et même s’il se révolte contre lui, ne devient-il pas un exemple très instructif, lorsque son amour, sa désobéissance et sa fureur le plongent dans les plus grands malheurs ? […] Après cette espèce de protestation, je dirais que le Brutus de M. de Voltaire me paraît composé précisément comme il doit l’être, pour nous fournir l’exemple d’un amour capable de corriger et d’instruire En effet, l’amour violent de Titus et de Tiberinus, tous deux fils de Brutus, pour Julie fille de Tarquin, est porté à un tel excès dans cette Pièce, qu’il mérite d’être présenté aux Spectateurs ; afin que chacun d’eux conçoive une juste horreur pour une passion capable d’entraîner après elle tant de crimes et tant de malheurs.

/ 311