Je n’ignore pas ce que la politesse du siecle vous a là-dessus appris ; que sous un froid affecté et sous un air de dégagement et de liberté prétendue, elle vous enseigne à cacher tous ces sentimens et à les déguiser ; qu’en cela consiste un des premiers mérites du jeu, et que c’est ce qui en fait la plus belle réputation. […] Ah mes chers Auditeurs, un peu de réflexion aux maux infinis que peut causer et que cause tous les jours la vie dissipée, sur-tout des personnes du sexe, et cette malheureuse liberté dont elles se sont mises en possession !
Un moment après il s’oublie de nouveau, et promenant sa main sur le genou de la Dame, elle lui dit, confuse de cette liberté, « ce que fait là sa main » : il répond, aussi surpris que la première fois, qu’« il trouve son étoffe moelleuse » : et pour rendre plus vraisemblable cette défaite, par un artifice fort naturel, il continue de considérer son ajustement, et s’attaque « à son collet, dont le point lui semble admirable ». […] Je sais encore qu’on me dira que le vice dont je parle étant le plus naturel de tous, ne manquera jamais de charmes capables de surmonter tout ce que cette comédie y pourrait attacher de ridicule : mais je réponds à cela deux choses ; l’une, que dans l’opinion de tous les gens qui connaissent le monde, ce péché, moralement parlant, est le plus universel qu’il puisse être ; l’autre, que cela procède beaucoup plus, surtout dans les femmes, des mœurs, de la liberté et de la légèreté de notre nation, que d’aucun penchant naturel, étant certain que, de toutes les civilisées il n’en est point qui y soit moins portée par le tempérament que la Française : cela supposé, je suis persuadé que le degré de ridicule où cette pièce ferait paraître tous les entretiens et les raisonnements, qui sont les préludes naturels de la galanterie du tête-à-tête, qui est la dangereuse ; je prétends, dis-je, que ce caractère de ridicule, qui serait inséparablement attaché à ces voies et à ces acheminements de corruption, par cette représentation, serait assez puissant et assez fort pour contrebalancer l’attrait qui fait donner dans le panneau les trois [qu]arts des femmes qui y donnent. […] La raison en est, que comme il n’y a rien qui nous plaise tant à voir en autrui, qu’un sentiment passionné ; ce qui est peut-être le plus grand principe de la véritable Rhétorique ; aussi n’y a-t-il rien qui déplaise plus que la froideur et l’apathie qui accompagne le sentiment de ridicule, surtout dans une personne qu’on aime : de sorte qu’il est plus avantageux d’en être haï ; parce que,quelque passion qu’une femme ait pour vous, elle est toujours favorable, étant toujours une marque que vous êtes capable de la toucher, qu’elle vous estime, et qu’elle est bien aise que vous l’aimiez ; au lieu que ne la toucher point du tout, et lui être indifférent, à plus forte raison lui paraître méprisable, pour peu que ce soit, c’est toujours être à son égard dans un néant le plus cruel du monde, quand elle est tout au vôtre : de sorte que, pour peu qu’un homme ait de courage ou d’autre voie ouverte pour revenir à la liberté et à la raison, la moindre marque qu’il aura de paraître ridicule, le guérira absolument, ou du moins le troublera, et le mettra en désordre, et par conséquent hors d’état de pousser une femme à bout pour cette fois, et elle de même en sûreté quant à lui ; ce qui est le but de ma réflexion.