Tous les Philosophes et tous les Savants les plus graves conviennent que les vices ne doivent point nous être reprochés crûment, et que ce n’est pas avec austérité qu’il faut enseigner la vertu : la dureté des réprimandes révolte, et la sècheresse des préceptes dégoutent ; et c’est une maxime approuvée unanimement, qu’il faut tempérer, par la douceur, l’amertume des reproches et des leçons, si l’on veut persuader et plaire en même temps. […] J’ajoute encore que, dans notre siècle, les amateurs de la Comédie ne s’exposent guère à recevoir des leçons que sur le Théâtre ; et que ce motif, fût-il seul, devrait suffire pour faire revivre la Comédie, s’il n’y en avait pas ; afin d’apprendre leurs vérités à des hommes qui, sans cela, les ignoreraient éternellement ; puisqu’il n’est que trop commun d’être aveugle sur ses propres défauts, pendant qu’on est si clairvoyant sur ceux des autres. […] Concluons donc, avec les Partisans du Théâtre, que, si on abolissait la Comédie, on ferait un grand tort à la République ; puisqu’il ne resterait plus de moyen d’inspirer de l’horreur pour le vice et de donner du goût pour la vertu à ce grand nombre d’hommes qui, comme nous l’avons déjà dit, ne vont guère à d’autre Ecole que le Théâtre, et qui, sans les leçons qu’ils y reçoivent, ignoreraient, toute leur vie, leurs défauts, loin de travailler à s’en corriger.
En effet, rien n’est plus capable de nous inspirer une crainte salutaire de l’amour que les excès et les transports effrénés où cette passion entraîne les trois principaux Acteurs de la Tragédie d’Andromaque ; et leur misérable sort devient une excellente leçon pour nous corriger par les impressions de la terreur. […] Sanche d’Aragon, deux Acteurs qui lui donneraient d’excellentes leçons. […] L’amour de Sévère, qui arrive dans l’intention d’épouser Pauline, n’étant pas instruit de son mariage ; et la vertu dont tous les deux donnent de si grandes preuves, sont des leçons admirables pour mettre un frein à cette dangereuse passion. […] En effet, une fille qui consent que son Amant l’enlève, dans l’instant qu’elle est à l’Autel pour en épouser un autre que son père lui a destiné, et qui à la fin se trouve réduite par la mort de son mari à se tuer elle-même, ne peut, je pense, que présenter une leçon bien utile aux jeunes personnes ; puisque malheureusement il s’en trouve qui ne craignent pas de s’exposer au sort de Servilius et de Valérie. […] J’ai conclu de toutes ces réflexions que la Tragédie d’Inès de Castro, envisagée dans le point de la passion d’amour telle qu’on la voit dans la représentation, ne peut donner que de bonnes leçons, et que par conséquent elle peut être conservée pour le Théâtre de la Réformation.