Enfin elle fait son message, et il le reçoit avec une joie qui le décontenance, et le jette un peu hors de son rôle : et c’est ici où l’on voit représentée mieux que nulle part ailleurs, la force de l’amour, et les grands et les beaux jeux que cette passion peut faire par les effets involontaires qu’il produit dans l’âme de toutes la plus concertée. […] Cette forme est en général quelque motif de joie, et quelque matière de plaisir que notre âme trouve dans tout objet moral. […] Or comme la Raison produit dans l’âme une joie mêlée d’estime, le Ridicule y produit une joie mêlée de mépris ; parce que toute connaissance qui arrive à l’âme produit nécessairement dans l’entendement un sentiment d’estime ou de mépris, comme dans la volonté un mouvement d’amour ou de haine. […] Que le sentiment du Ridicule soit le plus froid de tous, il paraît bien, parce que c’est un pur jugement plaisant et enjoué d’une chose proposée : or il n’est rien de plus sérieux que tout ce qui a quelque teinture de passion ; donc il n’y a rien de plus opposé au sentiment passionné d’une joie amoureuse, que le plaisir spirituel que donne le Ridicule. […] Or cette connaissance d’être plus qu’un autre est fort agréable à la Nature ; de là vient que le mépris qui enferme cette connaissance est toujours accompagné de joie : or cette joie et ce mépris composent le mouvement qu’excite le Ridicule dans ceux qui le voient ; et comme ces deux sentiments sont fondés sur les deux plus anciennes et plus essentielles maladies du genre humain, l’orgueil et la complaisance dans les maux d’autrui, il n’est pas étrange que le sentiment du Ridicule soit si fort, et qu’il ravisse l’âme comme il fait ; elle qui se défiant à bon droit de sa propre excellence depuis le péché d’origine, cherche de tous côtés avec avidité de quoi la persuader aux autres et à soi-même par des comparaisons qui lui soient avantageuses, c’est-à-dire par la considération des défauts d’autrui.
Et parce qu’une grande tristesse abat les sens, comme l’excès de joie les élève trop, il se doit recueillir en soi-même, et donner à son âme une nourriture qui la recrée, repose, et puisse avoir convenance avec sa simplicité. Mais si elle est selon Aristote un acte continuel, son être est en son action, et ne peut avoir autre repos que la joie qu’elle reçoit par les deux plus nobles et excellents messagers, qui sont les yeux et les oreilles; par l’œil elle juge les couleurs, par l’oreille les paroles. […] Les nations plus farouches se sont accoutumées en la douceur de cette joie, aux biens de la paix, encore que leur inclination fût à ne respirer que le sang et la guerre : ils nommaient les jeux humanité.