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30. (1768) Réflexions sur le théâtre, vol 7 « Réflexions sur le théâtre, vol 7 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE SEPTIÈME. — CHAPITRE I. De l’Amour. » pp. 4-29

Puisque le théatre est le moyen le plus efficace pour inspirer & satisfaire la passion, un des principaux moyens d’y remédier est de le fuir. […] c’est l’idée, la connoissance du vice qu’elles donnent aux ames les plus innocentes ; la familiarité, le goût pour le vice, qu’elles inspirent aux ames les plus pures ; le penchant, le mouvement pour le vice, qu’elles inspirent dans les plus indifférentes ; la facilité, les occasions de le commettre, qu’elles présentent aux plus modestes, aux plus éloignées ; l’accroissement, le rafinement, l’ivresse aux ames déjà corrompues. […] 3.° On en inspire le goût en présentant ces objets ornés de tous les agrémens dont ils sont susceptibles, louant, ou plutôt adorant leurs graces, faisant consister le souverain bonheur à les posséder. […] Un volume suffiroit à peine pour recueillir tous les jolis vers qui furent inspirés par la jeune Camille, qu’ils firent connoître d’une maniere supérieure (Camille ne fut pourtant jamais une Muse ; mais Paphos vaut bien le Parnasse). […] Elles n’aiment pas moins les hommes, ne leur tendent pas moins de pièges, triomphent des passions qu’elles inspirent, veulent être de tout.

31. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — QUATRIEME PARTIE. — Tragédies à corriger. » pp. 180-233

Perpenna, au contraire, fait éclater toute la tendresse et tout l’emportement que la passion peut inspirer ; et, si ce n’est pas devant l’objet de son amour, parce qu’il n’est point à portée de le faire, il les fait éclater, ces deux mouvements, en toute autre occasion. […] A l’égard de la compassion que l’on peut avoir pour les personnages qui meurent, elle ne doit point balancer l’horreur que l’Auteur de tant de carnage inspire ; et c’est, comme je l’ai déjà dit et comme je le pense, l’horreur du crime, ou l’amour de la vertu, qui établit la catastrophe. […] Il semble d’abord que cette Pièce ne nous présente pas une passion d’amour, telle que nous la demandons pour le Théâtre de la réforme ; c’est-à-dire, une passion qui porte à de si grands excès qu’elle inspire l’horreur, et devienne par là propre à corriger et à instruire : cependant, si on y fait attention, on trouvera que cette première impression n’est pas conforme à la vérité. […] On pourrait donc en conclure que la passion d’amour de la Tragédie de Jugurtha ne doit inspirer aux Spectateurs que de la compassion, et que la compassion est plus propre à corrompre qu’à corriger : j’en conviens, et même je tâcherai de le prouver dans l’examen du Cid ; mais le cas me paraît très différent. La passion d’amour dans Artemise et dans Ilione n’inspire pas une simple compassion dénuée d’horreur ; car le Spectateur ne peut se dispenser de se souvenir que, si ces deux Princesses n’avaient pas aimé avec une extrême violence, elles ne se seraient pas tuées après la mort de leur Amant : ainsi leur exemple, par l’horreur qu’il cause, n’est pas moins instructif que celui d’Hermione et de Pyrrhus dans la Tragédie d’Andromaque.

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