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86. (1759) Remarques sur le Discours qui a pour titre : De l’Imitation par rapport à la Tragédie « Remarques sur le discours qui a pour titre : De l’Imitation par rapport à la Tragédie. » pp. 350-387

De même dans la Tragédie, l’objet de l’Imitation, ou ce que le Poëte imite, est en général une action humaine, grave, illustre, intéressante ; la mesure & l’harmonie des Vers, à quoi il faut joindre la force & la grace de la déclamation, sont la maniere d’imiter ; la décoration ou l’appareil extérieur du Spectacle & la Musique, lorsqu’elle y est jointe, sont les instruments ou les secours de l’Imitation. […] A ce caractere susceptible des impressions de la Vertu comme de celles du Vice, se joint celui des vertus que la Tragédie nous présente : elles allarment si peu les passions favorites du cœur humain, qu’il croit pouvoir les concilier aisément avec ces passions. […] C’est ainsi que le Poëte, maître de tous les ressorts du cœur humain, ne réussit dans son art que parce qu’il sçait, comme Despréaux l’a dit de Racine, Despreaux, Epit.  […] Aussi les premiers Poëtes ont-ils passé pour des hommes inspirés : leur enthousiasme a paru avoir quelque chose de plus qu’humain, & leur langue a été appellée la langue des Dieux. […] Il n’y a personne qui ne sente que le plaisir qu’il trouve à la lire, à satisfaire ainsi la curiosité naturelle à notre esprit, à y étudier le cœur humain, à former son jugement & ses mœurs par de grands exemples de Vice & de Vertu, de Folie & de Sagesse, de Foiblesse & de Fermeté, n’a rien de commun avec le plaisir de l’Imitation renfermé dans ses véritables bornes.

87. (1760) Lettre d’un curé à M. M[armontel] « letter » pp. 3-38

L’Abbé de Saint Pierre, ce Citoyen décidé dont les rêves ne roulaient que sur les moyens de procurer le bonheur du Genre humain, qui dans cette vue a laissé de très bons Mémoires qu’il faudra revoir un jour, si les hommes s’avisaient jamais de vouloir être heureux ; l’Abbé de Saint Pierre voulait des Spectacles, mais avec des tempéraments qui fortifient ma Thèse. […] Jugez quel ravage doit faire dans une tête qui n’est pas bien ordonnée, (et vous m’avouerez qu’il n’en est pas mal de cette espèce,) un sentiment plus naturel, plus tendre, plus humain, plus analogue à notre cœur, quand un Spectacle où l’on ne néglige rien pour l’ébranler, va le réveiller dans une âme toute disposée à en recevoir les impressions. […] Car quoi de plus raisonnable et de plus sensé, que de tenter de ramener à des mœurs plus douces et plus humaines tout ce qui se ressent de la barbarie ?

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