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17. (1765) De l’éducation civile « De l’éducation civile » pp. 76-113

Que n’avoit-on pas lieu de se promettre de ces heureux commencemens, si le Plan du Pere des Lettres eût été constamment suivi ? […] J’admire bien sincérement les heureux talens que la Nature vous a si libéralement prodigués. […] Si vous eussiez eu pour Spectateurs & pour Juges des hommes graves, attentifs au maintien de la discipline & des mœurs, vous auriez également tenté de leur plaire, vous vous seriez rapprochés des tragiques Grecs ; & je ne doute presque point qu’avec les heureuses dispositions que vous aviez reçues de la Nature, vous ne fussiez parvenus à les égaler. […] Si l’on prenoit soin d’inculquer de bonne heure, aux jeunes gens, qu’ils ne sont point faits comme de vils animaux, pour se procurer des sensations voluptueuses ; que leur raison est le flambeau qui doit les éclairer ; que cette raison a besoin d’être épurée ; qu’elle dicte des devoirs ; que la satisfaction qui provient des actions vertueuses, ou conformes à la raison, est le plus grand de tous les plaisirs & le seul permanent ; qu’un homme, qui néglige sa raison, est plus à plaindre que celui qui renonceroit volontairement à l’usage de ses yeux ; qu’il est aussi impossible d’être heureux, avec une ame souillée de vices, que de se bien porter avec un corps couvert d’ulceres ; que la Science est la source des biens, l’ignorance la source de tous les maux, &c. […] Mais en vain la nature nous offre les moyens de nous rendre heureux, si notre inapplication & notre lâcheté nous empêchent d’en profiter.

18. (1766) Réflexions sur le théâtre, vol 5 « Réflexions sur le théâtre, vol 5 — REFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE CINQUIÈME. — CHAPITRE IX. Spectacles de la Religion. » pp. 180-195

Elle lui prêche la mortification & la pénitence, pour le rendre à jamais heureux. […] Cyprien, sans attendre ceux que l’heureuse éternité doit étaler à vos yeux, le monde vous offre le plus admirable. […] C’est au jour du jugement que paroîtra dans tout son jour le contraste de ces deux grands spectacles ; le Juge des vivans & des morts, assis sur son tribunal, porté sur un nuage, environné de ses Anges, qui prononcera l’arrêt de la destinée éternelle du monde ; les hommes & les démons rampans à ses pieds, les hommes eux-mêmes séparés les uns des autres, les bons à la droite, les méchans à la gauche, se maudissent mutuellement, opposant les vertus aux vices, confondant les vices par les vertus ; le grand spectacle de l’ouverture du livre des consciences, qui en développera les plus secrets replis ; le ciel recevant en triomphe ses heureux habitans ; l’enfer ouvrant ses abîmes, & engloutissant pêle mêle tous les damnés ; l’un & l’autre fermé sans retour, & présentant un hommage éternel à la justice & à la bonté divine, par les supplices & les récompenses. […] Dieu n’a point élevé des théatres pour rendre les hommes heureux dans le paradis terrestre, où tous les biens étoient réunis ; on n’y jouoit point de comédies, à moins qu’on ne donne pour une piece dramatique la tragique scène qui perdit l’homme, & qui fut le modelle de toutes les autres, par la séduction & ses effets. Si on ne peut être heureux qu’au spectacle, le genre humain est bien à plaindre ; il n’y a pas la millieme partie qui le fréquente.

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