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53. (1766) Réflexions sur le théâtre, vol 5 « Réflexions sur le théâtre, vol 5 — REFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE CINQUIÈME. — CHAPITRE IV. De la Médisance. » pp. 80-99

Là le Grec, né moqueur, par mille jeux plaisans Distilla le venin de ses traits médisans : Aux accès insolens d’une bouffonne joie La sagesse, l’esprit, l’honneur furent en proie. […] De là le mot tragédie, qui malgré l’élévation de tant de Rois & de Héros, qu’elle barbouille de la lie du vice, signifie en Grec chanson de bouc, & dont encore les vices, qui n’en deviennent pas plus nobles, pour être habillés de pourpre & montés sur de grands mots, sont le fruit ordinaire. […] Il en coûta la vie à Socrate, le plus sage des Grecs. […] Non contente des richesses nationnales, si des futilités aussi dangereuses que méprisables sont des richesses, la France a adopté, traduit, copié tous les autres drames, Grecs, Latins, Anglois, Italiens, Espagnols, Chinois, Iroquois, &c. […] Aristophane, que les Commentateurs admirent parce qu’il étoit Grec, ne songeant pas que Socrate étoit Grec aussi, Aristophane fut le premier qui accoûtuma les Athéniens à regarder Socrate comme un athée.

54. (1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Septième Lettre. De la même. » pp. 73-99

Que les Grecs ont de ce côté-là surpassé toutes les Nations & qu’il serait glorieux pour nous de les imiter ! […] De pareils Spectacles sont bien au-dessus de tous ceux des Romains, & même des Comédies Grecques les plus décentes : en rassemblant les hommes, ils doivent adoucir leurs mœurs, par le plaisir ; les corriger, au moins des vices grossiers, & surt-tout de l’insociabilité. […] Au lieu d’improuver ces divertissemens publics, il serait à desirer qu’on les protégeât plus spécialement, qu’on les annoblît, qu’on en fît, comme chez les Grecs & les Romains, une affaire d’Etat ; que, s’il était possible, le Citoyen y fût admis sans paraître contribuer en rien à la dépense*. […] A la vérité, lorsqu’Auguste voulut amollir les Romains par le plaisir, il abusa des Spectacles, des Arts, des Sciences en tout genre qu’il protégea ; il parut encourager un Pylade, un Bathylle, dont les Mimes licencieuses achevèrent d’anéantir la pudeur, la décence, & même la pudicité Romaine : mais en sera-t-il moins vrai, que la Tragédie Grecque était plus propre à échauffer le patriotisme, qu’à corrompre les mœurs ? […] Ce fut peut-être, depuis Sylla, la politique des Grands qui priva seule les Romains de Tragédies patriotiques, comme celles des Grecs, dont quelques-unes sont les plus beaux monumens, qui nous restent de l’antiquité.

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