Ces deux femmes toutes puissantes, l’une sur le pere, l’autre sur le fils, partageoient la Cour par leur crédit & leurs intrigues. […] Elizabeth, mariée au Roi d’Espagne, passa pour avoir été empoisonnée sur le soupçon de ses amours avec Dom Carlos, fils de son mari. […] Louis son fils les bannit pour avoir été scandalisé de leurs amours ; & il chassa une infinité de Dames qui avoient été de la joyeuse bande. […] Semiramis, dont la vie est remplie de fables, passe pour une incestueuse avec son propre fils Ninias, qui la tua. Cathérine ne passa-t-elle pas pour avoir trop aimé son troisieme fils Henri III.
Que présumer de là, sinon que si ces libertins et ces fils dénaturés venaient souvent aux spectacles, s’ils prenaient plaisir pendant deux heures par jour à entendre le langage de la Vertu, si l’on pouvait les habituer à venir souvent se convaincre de ses avantages dans nos Tragédies, l’amour naturel que vous leur supposez pour la Vertu deviendrait plus efficace. […] Si je dis simplement à cet homme : « Phèdre est une Marâtre qui persécute cruellement le fils de son mari, jusqu’au moment qu’elle en devient éperdument amoureuse ; sa déclaration n’excite que l’indignation et l’horreur de la part d’Hippolyte ; la rage, la honte et la jalousie la portent à l’accuser auprès de Thésée du crime dont elle est coupable elle-même. Thésée, dans le premier moment, dévoue son fils à la vengeance des Dieux et ce fils en devient la victime » ; il est certain que sur une pareille exposition tout homme tant soit peu raisonnable et vertueux frémira d’horreur et regardera Phèdre comme un monstre abominable : mais il changera d’avis après la représentation, parce qu’il verra dans Phèdre une femme malheureuse par sa passion, et chez qui la Vertu est presque aussi puissante que le Vice : elle est justifiée de la persécution qu’elle a fait essuyer à Hippolyte par ces vers où respire la Vertu : « Toi-même en ton esprit rappelle le passé. […] [NDE] Voltaire, L’Enfant prodigue, Paris, Prault fils, 1738 [repr. 1736], Acte V, sc. 6, p. 98 sq. […] J. de Crébillon, Catilina [repr. 1748], Paris, Prault fils, 1749, Acte V, scène dernière, p. 96.