Ce mêlange parut d’une manière frappante dans le Czar Pierre par les scènes bisarres, indignes de lui, qui le dégradoient, & le faisoient passer du trône d’un grand Prince au tabarinage des trétaux d’un Arlequin ; sa Cour étoit un théatre, comme il étoit l’Acteur le plus comique, il y jouoit tour à tour les rôles d’Empereur & de Valet, de Ministre & de Scaramouche ; nous en avons rapporté bien des traits en divers endroits de cet ouvrage : en voici qui n’a point d’exemple dans l’histoire. […] Pour favoriser la population des Nains, ce Prince si grand & si petit qui a joué tant de rôles sur la scène du monde, fit en 1710 une fête solennelle sans exemple dans l’histoire, ayant eu la fantaisie de voir un mariage de Nains, il en assembla soixante-douze pour la cérémonie, qu’il fixa au 24 novembre : la veille, deux Nains de taille égale, richement vêtus, se mirent dans une petite voiture à trois roues, tirée par un petit cheval orné de rubans de différentes couleurs, & allèrent précédés de deux Maréchaux Nains, montés sur de très-petits chevaux, inviter ceux que l’Empereur vouloit admettre à la nôce ; le lendemain tous les Nains étant assemblés, la procession défila vers l’Église de la Forteresse où le mariage devoit être béni par le plus petit Papa (Prêtre Grec) qu’on avoit pu trouver dans l’Empire : un Maréchal Nain portant un bâton orné de rubans, ouvrit la marche, il précédoit le fiancé & la fiancée qui marchoient devant l’Empereur, les Ministres, les Knées, les Bojards, les Officiers & les autres personnes de la Cour ; les soixante-dix Nains restans venoient ensuite, ayant un Nain à leur tête, & marchant deux à deux ; la procession étoit suivie d’une foule immense, contenue par les Soldats de la garde. […] Deux grands liens parmi les hommes, deux grands ressorts dans les affaires, deux grands mobiles dans les mœurs & dans les passions autant que renfermées dans de justes bornes, ils annoncent la vertu de celui qui les porte, & l’Empire à ceux qui les voyent, autant l’excès, l’immodestie, l’affectation par un effet contraire décélent la corruption de celui qui s’y livre, & la répandent dans ceux qui s’en laissent toucher, ils entretiennent l’orgueil ou l’humilité, la modestie ou la légèreté, la molesse ou l’austérité ; & par conséquent des exemples continuels & des objets frappans de vertu ou du vice, des grâces séduisantes ou des invitations édifiantes ; c’est une espèce de sermon éloquent.
Mais si tant de grands hommes revêtus des premières dignités de l’Eglise font si bien d’assister à la Comédie, d’où vient qu’il dit de lui, « qu’étant Prêtre, et devant l’exemple aux Fidèles il ferait autant de scrupules de s’y trouver que dans aucune autre assemblée de grand monde dont son état le doit éloigner Page 37. […] Doit-il plus l’exemple aux Fidèles qu’un Evêque, qu’un Cardinal, qu’un Nonce ? […] On sait bien que les Prêtres et les Religieux ont des obligations particulières, qu’ils doivent l’exemple et l’instruction : ce qui a fait dire aux saints Docteurs, que ce qui ne serait qu’une faute légère dans un séculier, serait un crime dans un Ministre des Autels, ou dans celui qui s’est consacré à Dieu par de nouveaux vœux ; mais je soutiens que tous les Chrétiens indistinctement sont obligés à une même pureté de cœur, à une même sainteté.