J’avance tout ceci pour préparer l’esprit de mon Lecteur au récit d’une grâce insigne que Dieu versa en l’âme d’une Comédienne dont la vie et la piété peuvent faire honte à beaucoup de Dames nourries en des écoles plus retenues et plus réservées. […] En Espagne comme le naturel est plus grave les représentants qu’ils appellent y sont plus modestes et plus sérieux, et outre qu’ils ignorent ce que c’est que Farce, ils ne représentent pour l’ordinaire que des Histoires véritables ou des feintes qui approchent de la vérité comme l’on peut voir par tant de riches pièces que Lopé de Vega Carpio le plus fertile et le plus estimé de tous les esprits Espagnols a données au public. […] Et c’est de cette sorte que l’on se sert en Espagne de ces spectacles publics autant pour l’instruction que pour le passe-temps du peuple qui est depuis tant d’années en cette profonde paix et en ce repos opulent que Dieu promet en l’Ecriture à ceux qui l’adoreront en esprit et vérité. […] Elle fait toujours bien en ses représentations mais hier elle se surmonta elle-même, vous eussiez dit qu’elle faisait comme ces flambeaux qui ne jettent jamais tant de lueur que quand ils sont prêts de s’éteindre, c’était comme le dernier effort de sa Muse et de son esprit. […] Mais la couronne de cet agréable divertissement a été un coup du ciel un trait du Saint Esprit.
En ce doûte j’ai suivi le conseil du saint Esprit, j’ai Interroga majores tuos, & dicent tibi. […] Quelle esperance pourra avoir cette personne, que le raison de la celeste lumiere éclairera son esprit dans l’oraison, & que la dureté de son cœur sera amollie par l’operation du Saint Esprit, tandis qu’elle ne remporte de la Comedie qu’une tête pleine de douces & charmantes idées, remplie de toutes les passions folles & imaginaires, que la declamation d’un Comedien folâtre lui a pû représenter ? […] Oui, mon Seigneur, je dois vous obéir, & c’est pour vous obéir que je veux aller aujourd’hui à la Comedie : ce sera vôtre Esprit qui m’y conduira : ce sera vous qui serez le principe de cette action, c’est par vôtre Croix que vous me l’avez meritée. […] Faute de crainte, on n’a point d’idée du malheur qui peut arriver à l’ame, & par consequent point de mouvement d’aversion pour le mal : faute de défiance, loin de se ténir sur ses gardes, & de se mettre en disposition de repousser l’ennemi du salut, on y apporte une imagination vive, un esprit dissipé, un cœur volage, des sens ouverts & subtils, dispositions fatales & propres à donner de l’entrée au peché. […] Qu’on applique donc à présent le principe que personne ne peut contester après l’oracle du Saint Esprit, que Eccles. 3.