Le caractère de la plus grande partie des spectateurs force les auteurs dramatiques à composer licencieusement, et les acteurs à y conformer leur jeu. […] En peignant les passions d’autrui, les auteurs dramatiques émeuvent tellement notre âme qu’ils font naître les nôtres, qu’ils les nourrissent, qu’ils les échauffent et qu’ils les rallument même lorsqu’elles sont éteintes. […] Non seulement les auteurs dramatiques mettent des passions dans leurs pièces ; mais ils y mettent encore des passions fort vives et violentes ; car les affections communes ne peuvent procurer aux spectateurs le plaisir qu’ils y cherchent. […] On sait, dit Nadal, qu’on ne peut faire réussir une pièce dramatique qu’en flattant les passions des cœurs corrompus.
La fin du Poème dramatique est de porter à la vertu et d’éloigner du vice ; c’est de montrer l’inconstance des grandeurs humaines, les revers imprévus de la fortune, les suites malheureuses de la violence et de l’injustice ; c’est de mettre en jour les chimères de l’orgueil et les boutades du caprice, de répandre du mépris sur l’extravagance, et du ridicule sur l’imposture ; c’est en un mot d’attacher à tout ce qui est mal, une idée de honte et d’horreur. […] Ce n’est pas néanmoins qu’ils ne pussent parvenir à la fin que se propose la Poésie dramatique, s’ils avaient des intentions saines : à cela près, on peut dire que rien ne leur manque.