Mais qu’il est à craindre, Seigneur, que cette prétendue insensibilité ne soit l’effet d’une conscience apprivoisée avec le crime, et le fruit d’une funeste captivité ; on laisse en paix un ennemi quand on le voit dans les fers.
Je lui demanderais encore volontiers si cette harmonie de l’âme est plus en sureté au travers de ces représentations pompeuses de notre cothurne le plus élevé et le plus sublime, où l’on introduit des héros et des héroïnes, dont on fait consister le mérite à pousser les passions les plus grandes aux plus grands excès ; où les jalousies, les désespoirs, les vengeances, les trahisons, les incestes, les parricides, et d’autres crimes horribles qui devraient être ensevelis dans des ténèbres éternelles, sont relevés et dépeints avec les couleurs les plus vives, et bien plus capables de les faire admirer que de les faire détester. […] Tous les jours à la Cour les Evêques, les Cardinaux et les Nonces du Pape, ne font point de difficulté d’y assister ; et il n’y aurait pas moins d’impudence que de folie, de conclure que tous ces grands Prélats sont des impies et des libertins, puisqu’ils autorisent le crime par leur présence. […] « Je n’ai jamais pu, dit-il, par leur moyen entrevoir cette prétendue malignité de la Comédie : car si elle était la source de tant de crimes, il s’ensuivrait qu’il n’y aurait que les riches et ceux qui ont le moyen d’y aller qui fussent les plus grands pécheurs ; et nous voyons cependant que cela bien égal, et que les pauvres qui ne savent pas ce que c’est que la Comédie, ne tombent pas moins dans les crimes de colère, d’impureté et d’ambition : j’aime donc mieux conclure avec plus de vraisemblance, que ces péchés sont des effets de la malice ou de la faiblesse humaine, qui de toutes sortes d’objets indifféremment prennent occasion de pécher. » On ne se serait point douté que notre Docteur fît le métier de confesser, s’il n’en avait averti ; car ce métier est un peu sérieux pour un Docteur de Théâtre : il nous assure cependant que c’est là un des moyens dont il s’est servi pour s’endoctriner sur le fait de la Comédie. […] Les plus justes sont obligés de se mortifier dans le Carême ; et l’Eglise même, cette chaste Colombe, est plongée en ce saint temps dans le deuil et dans les pleurs, tant pour la mort de son Epoux que pour les crimes de ses enfants ; et les Comédiens auront le privilège de se réjouir et de réjouir les autres durant tout ce temps ?