L'âme ne saurait conserver une véritable piété sans le secours d'une crainte salutaire, qu'elle conçoit à la vue des dangers dont elle est environnée. […] Comment pourrait-elle donc allier avec une crainte si juste des maux effroyables qui la menacent, les vaines réjouissances du monde, et repaître son esprit des chimères dont les Comédies le remplissent ? N'est-il pas visible que comme l'effet naturel de la Comédie est d'étouffer cette crainte si salutaire, aussi l'effet de cette crainte doit être d'étouffer le désir d'un divertissement si inutile et si profane, et de faire conclure à l'âme qu'elle a bien d'autres choses à penser et à faire dans ce monde, que d'aller à la Comédie ; que le temps que Dieu lui donne est trop précieux, pour le perdre malheureusement dans ces vains amusements.
Nous sommes depuis longtems en usage de rendre ce mot, Φόβος, par celui de Terreur ; cependant la Terreur est un trouble de l’ame très différent de celui que cause la Crainte, & Φόβος ne signifie que Crainte. […] Une Piéce ne peut exciter la Crainte sans la Pitié, puisqu’on ne craint que pour ce qu’on plaint, sans cela je dirois de même qu’une Piéce qui exciteroit la Crainte sans la Pitié, seroit une Tragédie imparfaite. […] Brumoy la Tragédie corrige la Crainte par la Crainte, & la Pitié par la Pitié, en nous apprivoisant avec la vue de nos maux : ce qui nous rend plus courageux pour les supporter quand ils arrivent. […] La Tragédie excite la crainte & la pitié, pour purger en nous toutes nos Passions. […] A la Crainte, & à la Pitié.