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60. (1762) Lettres historiques et critiques sur les spectacles, adressées à Mlle Clairon « Lettres sur les Spectacles à Mademoiselle Clairon. — LETTRE VI. » pp. 98-114

Ecoutez Messala parlant à Tite, dans Racine, Eh bien, l’ambition, l’amour & ses fureurs, Sont-ce des passions indignes des grands cœurs ? […] Il possédoit mon cœur, mes desirs, ma pensée, Je ne lui cachois point combien j’étois blessée. […] Dans l’empire amoureux Le devoir n’a point de puissance,                 L’amour dispense, Il faut souvent pour devenir heureux Qu’il en coute un peu d’innocence : Laissez mon cœur en paix impuissante vertu, N’ai-je pas assez combattu Quand l’amour malgré moi me contraint de me rendre ? […] On représente l’amour, non pas comme un crime, c’est une simple foiblesse, encore une foiblesse noble & agréable, la foiblesse des Héroïnes & des grands Hommes ; c’est une foiblesse que l’on a sçu si bien déguiser & embellir, qu’elle attire tous les regards, elle charme toutes les oreilles, elle séduit tous les cœurs ; le portrait que l’on en a fait est si flatteur, qu’on ne s’en lasse point, on ne souffre plus guères de Spectacles où elle ne se rencontre pas : c’est elle qui préside à toute l’action, elle est devenue essentielle aux Tragédies les plus sérieuses : en quoi la France a enchéri sur les Grecs & sur toute l’antiquité payenne. […] Puis s’adressant aux cendres de Pompée1 : Car vous pouvez bien plus sur ce cœur affligé, Que le respect des Dieux qui l’ont mal protegé ; Je jure donc par vous, ô pitoyable reste !

61. (1759) Remarques sur le Discours qui a pour titre : De l’Imitation par rapport à la Tragédie « Remarques sur le discours qui a pour titre : De l’Imitation par rapport à la Tragédie. » pp. 350-387

Il est vrai qu’on n’accuse plus les Dieux du déréglement de son cœur, & qu’on ne cherche plus à l’authoriser par leur exemple, comme ceux dont S. […] On n’a pas de peine à comprendre qu’il fasse par cet endroit une impression agréable sur des ames vertueuses ; mais pourquoi la peinture de la vertu a-t-elle des charmes pour le cœur même le plus déréglé ! […] C’est ainsi que le Poëte, maître de tous les ressorts du cœur humain, ne réussit dans son art que parce qu’il sçait, comme Despréaux l’a dit de Racine, Despreaux, Epit.  […] Il touche encore plus notre cœur par la beauté d’une morale qu’il rend sensible. […] Je sens naître dans mon cœur des mouvements de respect & d’admiration : ce n’est plus seulement l’Art qui me frappe, c’est l’objet même que l’Art me présente.

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