La même Réflexion a dû encore faire sentir à tous les Poëtes, que pour le Spectacle destiné aux larmes, il leur falloit choisir les plus tristes exemples des miseres humaines, & non point ces malheurs que cause l’Amour, qui étant imaginaires & volontaires, ne font qu’une foible impression sur les Spectateurs. […] Elles sont cause quelquefois que les Arts se perfectionnent ; quelquefois aussi leurs progrès sont arrêtés par un certain goût répandu dans une Nation.
Ce n’est pas qu’il faille que le Héros soit parfait en toutes choses, car cela est impossible ; il faut qu’il se sente des faiblesses de l’humanité, afin que le spectateur craigne qu’il ne lui arrive quelque malheur ; car si c’était un homme accompli en toutes choses, et d’une vertu parfaite, on serait affranchi de cette crainte, qui tient l’auditeur en suspens, et qui lui cause une certaine inquiétude, qui l’intéresse dans toutes les aventures du Héros. […] Afin qu’un événement dont l’issue doit être triste et funeste, fasse tout son effet sur l’esprit du spectateur ; il faut que le Poète dans les premiers Actes le remplisse d’espérance, et d’une certaine joie, que lui cause la prospérité de ses Héros ; un revers qui le fait tomber tout à coup dans le malheur, excite de grands sentiments par un retour de passions contraires. […] La reconnaissance est aussi l’un des plus grands agréments de la Tragédie, et qui cause le plus de plaisir, lorsque l’esprit, trompé par l’équivoque d’un nom supposé, ou par quelque obscurité embarrassante, vient à lever ce voile, ou à développer cet embarras, qui lui cachait la vérité. […] Cette matière a été agitée depuis quelques années, par des personnes d’un grand mérite, qui n’ont rien épargné pour faire leur cause bonne, et pour donner de la probabilité à leurs sentiments. […] Si les Pères ont tant déclamé contre les spectacles de leur temps, ce n’est pas précisément à cause qu’on y commettait des idolâtries ; mais c’est à cause que l’on n’y parlait que des faux Dieux ; et que tout s’y ressentait de la fausse Religion des Païens ; ce qui se pratique encore aujourd’hui en plusieurs pièces de Théâtre, comme dans l’Amphitryon, où Jupiter et Mercure se cachent sous des figures humaines, pour commettre un adultère.