Les disgrâces qui entrecoupent les grands desseins ; contentent, parce qu’elles excitent la miséricorde dont la nature a mis les semences dans notre cœur ; elles servent de consolation à la misère des affligés, et de lustre à la fortune des plus heureux : la magnificence des Théâtres, les changements des scènes ; la beauté, les ornements des personnages, contribuent beaucoup au plaisir, et une secrète sympathie fait que les mouvements du cœur sont plus forts, néanmoins plus doux, en ce qu’ils paraissent plus justes étant communs dans les assemblées. […] On y voit les premières complaisances, d’une beauté qui se terminent en des adultères, en des sacrilèges, en des jalousies enragées ; l’on y déploie tous les artifices de la perfidie, toutes les fureurs du désespoir ; tous les massacres, tous les venins de la cruauté, toutes les horribles cérémonies des démons ; les éléments sortent de leurs places, les furies de l’enfer, les morts des sépulcres, les Dieux de leur trône ; on va chercher les autres mondes pour soutenir les intérêts de cette funeste et malheureuse passion.
On peut voir innocemment & sans risque les beautés de la nature, la magnificence des cieux, les richesses de la campagne, une prairie émaillée de fleurs, un ruisseau qui serpente, &c. Ces objets n’excitent dans l’ame que des mouvemens doux & tranquilles qui ne portent à aucun péché, & ne favorisent aucune passion, ils invitent même à louer, à aimer, à admirer un Dieu dont ils peignent les perfections, mais les beautés théatrales, vanités des vanités, pompe du monde, attraits de la chair, cette musique efféminée, ces paroles tendres, ces intrigues galantés, ces nudités, ces gestes, ce fard, ce luxe ne viennent que du vice, ne portent qu’au vice, n’entretiennent que les passions les plus criminelles, & ne peuvent que conduire au dernier crime. […] On jouoit Psiché, je vous assure que M. étoit Psiché, enlevée comme elle dans un séjour enchanté, aussi surprise, aussi charmée qu’elle ; & la représentoit mieux à l’arrêt de mort de Psiché & la pompe funèbre qui ce suit ; elle pleura après s’être long-temps contrainte, l’honneur avoit combattu dans sa petite ame, mais enfin l’honneur qui n’est pas accoutumé à être le plus fort céda, & le mouchoir fut inondé de larmes, elle voulut s’en aller ou se cacher au fonds de la loge, elle s’imaginoit être déshonorée ; nous eûmes bien de la peine à la rassurer, je lui reprochai qu’elle étoit bien sensible : elle répondit, que ce n’étoit que la pitié ; mais quand les scènes de Psiché & de l’amour vinrent, elle ne le fut pas moins, & il n’étoit plus question de pitié, un air de joie douce & vive étoit peint sur son visage, & sa beauté n’y perdoit pas. […] Cette idée est une belle chimère que les femmes ont intérêt d’accréditer pour couvrir leur passion d’un voile, & faire croiré qu’aussi respectables que belles, elles sont de ces Venus admirables, qui renfermées dans cette métaphisique de sentimens, joignent aux grâces & à la beauté dont elles se croyent toujours richement pourvues, une vertu sublime, inaccessible aux tentations de la volupté grossière, que quoique tout passe par le corps avant d’arriver à l’esprit, leur esprit & leur cœur ne s’y arrêtent jamais ; que quoique leur toilette ne produise & ne puisse produire que des tentations charnelles, ce n’est pourtant que pour l’esprit qu’elles offrent des nudités, & mettent du rouge ; que ce n’est qu’à l’esprit qu’on adresse la tendresse du chant, le feu des regards, les attitudes, la danse, le langage du geste. […] L’esprit & la beauté suffisent pour entraîner ceux que les femmes voudroient choisir (je ne garantis pas la durée de ces chaînes) ; qu’avec ce secours elles porteroient des coups plus certains (à la vertu), & blesseroient les hommes plus vivement que leurs flêches ne blessoient les animaux.